23.9.07

| Le miracle de la prière |

Bien que les concepts de Dieu et du divin soient particulièrement malmenés par le modernisme et le culte de la science, il n'en va pas de même pour la notion de miracle. Pourtant, le miracle est par essence l'œuvre du divin, la manifestation du décalage entre les hommes et Dieu.

Tant du point de vue symbolique que du point de vue strictement philosophique, le Divin est ce qui nous dépasse et ce qui nous relègue au rang de créature... Sa créature, au même titre que Sa création. Albert Camus disait "Maudit soit ce monde qui nous relègue à Dieu..." A la fois provocation intellectuelle et cri du cœur, cette déclaration traduit l'incontournable tournure d'esprit occidentale qui continue de voir du Dieu partout et dans tout.

Le bouddhisme est par définition une philosophie athée. Et ce malgré la profusion de divinités dans l'imagerie, dans le statuaire, dans les concepts, dans le corpus de textes. Le bouddhisme classe les créatures divines au même rang que tout le reste des phénomènes. Elles ne sont pas ce qui nous engendre, nous les humains, mais une autre sorte de créatures aux limites et aux fonctions différentes. Il n'y a aucune filiation entre les dieux et nous. C'est le contraire absolu de la tradition judéo-chrétienne.

La Loi fondamentale de la vie (voir l'actuel cours de gosho sur le sujet dans Troisième Civilisation) n'est pas un principe générateur, qui serait à la source de toute chose, tels le Dieu d'Abraham, celui de Moïse ou encore celui des Evangiles. La Loi merveilleuse n'est pas non plus la cause initiale, car en Bouddhisme, il n'y a pas de moment initial, pas de moment zéro, pas de temps mort. La Loi merveilleuse est le principe par lequel le monde des phénomènes se développe sans cesse passant de l'état manifeste à l'état latent et inversement : vie, mort, vie mort, vie, mort, vie...

Myoho Renge Kyo, le principe qui imprègne tous les phénomènes de l'univers, n'est pas une force transcendantale ou une énergie intelligente. Elle serait instantanément en dehors du champs de l'Homme, et donc dans le plan du divin. Le principe de Myoho Renge Kyo est le lien dynamique qui unit tout ce qui est dans la réalité absolue. Pas d'autres mondes, pas de dimensions parallèles, rien qu'une seule réalité infinie en perpétuel renouvellement, propulsée par les mouvements des êtres sensitifs et non-sensitifs qui la peuplent... Et nous sommes parmi ces êtres.

L'étonnement, la magie du miracle, provient de ce que nous sommes bien souvent incapables de recevoir le bienfait de la pratique de Nam Myoho Renge Kyo, c'est-à-dire la prière. Elle réoriente notre existence individuelle dans l'axe de la vie universelle. Nos sens s'ouvrent à de nouvelles réalités physiques et intellectuelles, intérieures et extérieures, dans le temps (passé, présent, futur) et dans l'espace (moi, les autres, l'univers). Par la prière, ma vie individuelle est en harmonie, en phase, avec l'univers et collabore de son plein gré avec tous les phénomènes, au delà de mes préférences personnelles. Mais ces dernières participent aussi à la construction, instant après instant, de la vie universelle. Par la prière, j'établis un lien permanent, jour après jour, avec la vie de tous les autres êtres sensitifs et non-sensitifs. Mon individualité et mes représentations du monde, nées de mes limites physiques et intellectuelles, cessent d'entraver ma capacité à participer, moi-aussi, à la farandole extraordinaire de la vie sous toutes ses formes. Ainsi, prier c'est vivre pleinement dans l'harmonie.

Mais dès que la prière s'arrête, les sens reviennent à l'état normal. Cet état normal est construit sur des conceptions limitées et des représentations partielles. Cet état normal est mon obscurité fondamentale personnelle. Alors quand un désir émit pendant la prière voit sa réalisation, l'état sans limite que j'ai expérimenté pendant la prière surgit dans mon petit univers bien normal. Je suis soudainement submergé par ce souvenir et tout devient merveilleux tout au long du temps de la réalisation de mon désir. D'un seul coup mon petit univers individuel est bousculé par la puissance de l'univers sans limite. Le vertige, le décalage entre la vie de l'univers et la mienne, est tel, que je ne peux me résoudre à croire que je suis l'artisan de ce bonheur... Alors je cherche la réponse dans une réalité qui me dépasse, et donc Dieu, ou le divin, m'apparaissent comme une réponse satisfaisante et un soulagement.

Pourquoi cette diversion est-elle si simple ? Pourquoi cette réponse divine d'une réalité transcendantale nous vient-elle si naturellement ? Parce que nos conceptions limitées, nos représentations partielles, reposent sur notre volonté intérieure et inaltérable à vouloir contrôler notre environnement afin d'échapper à la souffrance sous toutes ses formes. Notre obscurité fondamentale, notre ignorance du monde, est entièrement nourrie par cette insatiable volonté de puissance. Et plus nous avançons, plus nous découvrons le monde, plus la volonté s'exerce car plus il y a de choses qui semblent incontrôlables et de souffrances qui nous menacent. Ainsi nous inventons du divin afin d'enfermer intellectuellement ce trop plein de l'univers qui nous choque, qui annule nos conceptions, qui nous poussent à nos limites, qui atomise notre représentation... Sans cesse, nous bataillons pour maintenir la réalité telle que nous la voulons, au lieu de l'accepter telle qu'elle est.

Cette lutte, cette guerre permanente, se manifeste comme une tension continuelle dans notre vie quotidienne. Et bien souvent, nous cédons à cette tension en manifestant les trois poisons de l'existence : aveuglement, voracité, rage. Parfois nous portons le combat intérieur dans le champs extérieur de notre quotidien. Parfois, nous contenons la bataille à l'intérieur et elle nous consume et nous endommage au point de nous faire perdre la raison. Dans une telle obscurité, le moindre point de lumière, la moindre bonne nouvelle, est comme un éclair dans la nuit, soudain, inespéré, magique...

La prière apaise et dissout la tension du combat intérieur. Elle oblige l'ensemble des désirs et des conceptions qui nous habitent et nous définissent à s'orienter vers l'objet de culte. Tout ce qui nous fait en tant que personne s'organise selon un schéma pacifique et harmonieux qui n'oublie personne, n'élimine personne, ne cache rien. La prière est ce pouvoir tant attendu qui permet de remettre de l'ordre dans le chaos et de s'éveiller au fait que mon ordonnancement personnel participe aussi à la marche de l'univers. Quels que soient les motifs, la colère s'éteint, l'avidité s'étanche et la bêtise se dissipe pour laisser voir l'univers comme un incroyable réseau de liens, à la manière des oiseaux qui perçoivent des routes dans le ciel, où les pisteurs qui voient sur le sol nu des chemins.

La prière est le moteur. La prière est l'instrument qui me guide dans l'infinie diversité de la vie. La prière n'est pas le résultat de la croyance, elle est la manifestation de la foi. En récitant Nam Myoho Renge Kyo, je m'entraîne chaque fois davantage dans l'harmonie avec le reste du monde. Ce chemin n'est pas immédiat. Il commence, il se poursuit. Parfois il s'arrête, pour recommencer plus tard, plus loin. Plus je m'entraîne, plus je découvre et plus je grandis. Si l'univers est sans limites, alors je le suis aussi. Et je n'ai plus peur. Car la prière abolit la peur, terrasse l'illusion et me libère du regard atrophié, mesquin et angoissé que je portais sur moi et sur le reste du monde. Et quand je m'arrête de prier, l'écho continue de faire résonner son œuvre tout au long de mon jour comme la vibration d'un gong qui ne diminuerait jamais.

Alors nul besoin de Dieu ou de magie. Le miracle est là, et il est permanent.