12.12.08

| Sans compromis, ni regret |

ou comment opérer de véritables changements intérieurs et améliorer sa vie

Bien souvent, la réalisation d'un projet dépend de l'opportunité qui se présente. Mais aussi belle que soit cette opportunité, un meilleur emploi, une occasion en or... il nous faut prendre garde et nous défendre contre le pouvoir insidieux de nos propres voix négatives. « C'est toujours pareil ». « Rien ne change ». « C'est toujours la même chose ». Tout le monde entend ces petites voix mesquines lorsque l'opportunité se présente. Sans la force intérieure pour esquiver et repousser ces voix, toutes les chances sont contre nous. Elles influencent alors notre façon de pratiquer. Notre attitude intérieure s'effrite, cède à l'influence négative de ces voix et finalement l'opportunité passe sans se concrétiser en dépit de ce que nous croyons être nos efforts et sans que nous puissions rien n'y faire, exactement comme le murmuraient inlassablement ces petites voix à la périphérie de notre conscience.

« Quand on en est là, nos prières ont toutes les chances de ne pas se réaliser » déclarait Takehisa Tsuji, ancien vice-président de la Soka Gakkai. Au cours de la récitation de Daimoku, il est important de bien examiner les pensées qui nous occupent. Car ce sont ces pensées que nous projetons avec force dans l'univers. Grâce à la loi de causalité, nous fabriquons de cette manière notre réalité présente et future. Pour prendre l'image du miroir, si nous faisons un mouvement ou une grimace, le miroir nous imite et nous renvoie cette image. De même, si notre prière dévie de notre objectif, l'univers cristallise cette nouvelle orientation de notre croyance. Que l'on en soit conscient ou pas, nos désirs façonnent notre réalité comme notre image change dans le miroir si nous changeons notre position.

A la lumière de ce principe, les situations et les événements que nous expérimentons sont du ressort de notre responsabilité personnelle. En effet, il ne dépend que de notre détermination à maintenir nos objectifs dans le respect de nos désirs pour obtenir une amélioration de notre qualité de vie ou la réalisation de tel ou tel projet. La récitation de Daimoku a donc comme but concret de résister à ces voix intérieures négatives, et à force d'entraînement régulier de ne plus être influencé par elles. Si lors de notre récitation, nous acceptons le compromis avec nos désirs, que nous écornons nos objectifs, ce manque de respect envers nous-même conduit inévitablement à de la frustration, à la souffrance et surtout à l'échec. Une fois votre décision prise, le compromis n'est pas acceptable.

Le bouddhisme est affaire de victoire ou de défaite. Il ne s'agit pas de réaliser des moitiés de projets ou de satisfaire à moitié les désirs. Il s'agit donc de sortir de ce cycle négatif des compromis avec nos souhaits, nos envies de bonheur et la réalisation d'une vie épanouissante. Pour cela, il est important de prendre des décisions et de réciter Daimoku pour vous y tenir. En récitant Daimoku, vous forgez votre détermination, vous projetez la manière dont les choses vont changer, vous envisagez les choses que vous voulez voir se réaliser, vous examinez les différents aspects manifestes de votre projet. Dès lors votre force de pratique et la force de votre conviction vont se déployer et activer la force de la Loi merveilleuse et la force de la sagesse du Bouddha.

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10.10.08

| L'obscurité monumentale |

Ce matin, le plongeon !
Malgré toutes les annonces politiciennes et les messages rassurants des chantres du libéralisme mondialisé, les effets des expérimentations capitalistes américaines débarrassées de régulations publiques ont percuté les marchés internationaux. Toutes les places de marché ont accusé des chutes de 5 à 10%. La panique s'est emparée des investisseurs, de cette légion d'actionnaires anonymes et nantis qui veulent du rendement financier à deux chiffres. Ils n'ont certainement pas envie de perdre leurs précieux placements à la faveur des stratégies désastreuses des banques et plus généralement de la finance mondiale.
L'argent virtuel s'échappe des places boursières où les risques démesurés généraient des profits financiers sans mesure. Il retourne dans les centaines de paradis fiscaux insulaires du Pacifique ou des Caraïbes. Les rats de la finance quittent le navire de la mondialisation capitaliste en rangs serrés.
Les conséquences pour nous tous sont encore à venir. Moins d'argent et moins de financement auront pour effet de ralentir davantage les économies technocratiques et de moins en moins industrialisées de l'Occident. La baisse de l'activité aura pour sa part l'effet direct de faire grimper les chiffres du chômage et de mettre à la rue davantage de ceux qui ne connaissaient que la précarité. L'effet indirect sera d'installer les économies fortement financiarisées dans une position d'attente et de prolonger durablement les états de crise et les périodes d'austérité et de rigueur. Les opportunités de protectionnisme, de réformes extrêmes, de fermeture des marchés, de renforcement des lois restrictives, de marginalisation des minorités, des pauvres et des laissés pour compte... Personne n'y croit pourtant le monde de la banque est à expliquer aux agents aux guichets comment faire preuve de pédagogie et se montrer rassurants afin d'éviter les retraits massifs qui sonneraient la chute de nombreux organismes bancaires. Le spectre de la crise de 1929 et les visions de cauchemar de l'Allemagne de Weimar ne sont pas loin...
Comment a-t-on pu en arriver là sans rien voir venir ? Comment avons-nous tous été aussi aveugles ?
Le bouddhisme enseigne que notre monde est celui des illusions : un monde dans lequel les individus s'enlisent de leur plein gré dans les fantasmes et les mirages fabriqués par les désirs. Le plongeon spectaculaire de ce matin en est la plus parfaite expression. Cependant tout le monde continue, avec une inquiétude indicible et difficile à cerner, à vaquer à ses occupations, à poursuivre le même train d'existence sans vraiment prendre le temps de comprendre ce qui est en train d'arriver. Après tout la catastrophe est virtuelle. Elle est invisible. Et tout le monde répète qu'elle ne touche que les Etats-unis.
De cette catastrophe mondiale, quelles sont les images que nous avons ? Quelles informations nous parviennent ? Que savons-nous réellement ?
Rien. Absolument rien.
Nous ne savons rien et nous entretenons cet état de fait. L'ignorance est notre alliée pour survivre au cataclysme. Nous ne savons rien et nous donnons toute notre confiance à des tiers pour nous tirer de là. Ces tiers, des élus, des financiers, des forces de police, des fonctionnaires du Trésor, des journalistes et des économistes, sont là pour nous protéger, pour veiller à ce que tout continue d'aller plus ou moins bien. Nous n'avons pas le temps de nous préoccuper de tout cela, de cette crise, de ces problèmes de crédit, de ces erreurs commises par d'autres, ailleurs, loin...
Ce que nous voulons, c'est de continuer à vivre comme avant. Nous voulons continuer à percevoir des salaires, à consommer toute sortes de produits, à entretenir ce cycle satisfaisant et confortable de la vie moderne occidentale. Ce cycle ne doit pas être interrompu car nos besoins sont insatiables : carburant, nourriture, vêtements, maisons, frigos, voitures, téléphones portables, ordinateurs personnels, appareils photo numériques, ipods, téléchargements, spectacles, divertissements, séries télés, etc. Toujours plus et toujours plus vite !
Et si des conditions extérieures entravent notre manière de vivre, notre « bonheur », notre confort tranquille, et bien tous les moyens seront bons pour combattre ces conditions hostiles et malvenues. Pour maintenir notre façon de vivre occidentale, nous sommes prêts à employer la force et la violence. A l'intérieur, notre puissance publique et ces agents de police sont de mieux en mieux armés pour « neutraliser » sans tuer, pour assurer que l'ordre et la loi soient respectés. A l'extérieur, nos forces militaires, au service de la « communauté internationale », peuvent intervenir pour détruire ceux qui menacent le nouvel ordre mondial, pour éliminer la menace terroriste, pour renforcer et s'assurer que les intérêts occidentaux ne courent aucun risque !
L'obscurité fondamentale a pris des dimensions monumentales. Et que faisons nous ? Nous utilisons les Trois poisons de l'ignorance, du désir insatiable et de la violence. Alors plutôt que d'enrayer l'obscurité, nous la fabriquons en masse, de manière industrielle, selon des procédés performants et optimisés. Voilà comment nous n'avons pas vu venir la cascade de catastrophes qui vient nous percuter en ce vendredi 10 octobre 2008. Nous avons fabriqué ce présent et nous continuons de fabriquer un avenir encore plus sombre.
Nichiren, moine bouddhiste du 13e siècle, a fait la démonstration dans un traité du Moyen-Âge que l'essentiel des catastrophes qui touchent les sociétés humaines ont pour origine l'attitude des mêmes citoyens de ces mêmes sociétés. Les problèmes sociaux et les cataclysmes, auxquels été confrontés les japonais du 13e siècle, n'étaient en rien différents des crises auxquelles nous sommes soumis. Malgré le caractère vernaculaire des termes, Trois calamités et Sept désastres, ce principe, exposé dans l'Abhidharma (Traité de la Scolastique) et dans le sûtra des Rois vertueux, est d'une singulière actualité.
Pour le dire simplement, le principe des calamités et des désastres postule que l'absence de perception et d'action lucides dans le réel engendre toutes sortes de catastrophes naturelles et humaines qui ont pour source l'aveuglement individuel et collectif. Ainsi les désastres se présentent sous la forme de : perturbations atmosphériques, anomalies célestes, incendies de grande échelle, déluges spectaculaires et répétées, tempêtes, sécheresses et conflits de toutes sortes. Les désastres sont essentiellement conjoncturels et résultent d'une mauvaise relation avec l'environnement naturel ou humain. Les calamités, elles, sont au nombre de trois : la destruction par les armes, les épidémies infectieuses et les pénuries entraînant des famines. Elles sont le résultat direct de l'action humaine.
Ce principe n'a rien d'un ensemble de prédictions millénaristes ou apocalyptiques. Il est facile à notre époque de reconnaître chacun de ces désastres ou calamités quelque part sur notre planète et généralement en suffisamment de lieux pour que le doute ne subsiste pas. Partout, les conflits, la pollution, les pandémies, le réchauffement climatique, les pénuries d'eau potable et maintenant de nourriture de base, les tsunamis, typhons, cyclones, tempêtes tropicales et autres déchaînements illustrent parfaitement des facettes d'un principe énoncé il y a deux milles ans.
Dans son traité, le Rissho Ankoku Ron (traité pour la pacification du pays par l'établissement de la Loi correcte), Nichiren attribue l'origine des calamités et des désastres à la prolifération des Trois poisons comme seules valeurs de l'action humaine. Sa démonstration explique assez simplement comment le Désir insatiable (ou Avidité) entraîne pénuries et famines, comment la Violence (ou Colère) entraîne les conflits et la destruction par les armes, et enfin comment l'Ignorance conduit à la diffusion de maladies et à l'extension d'épidémies, souvent mortelles pour les plus démunis.
Le constat est accablant. Il ne s'agit pas d'une crise, qui laisse entendre une situation provisoire ou passagère... Il s'agit de l'extension des Trois poisons à l'ensemble de notre planète et de tous les êtres qui la peuplent. Voilà ce qu'est réellement la mondialisation tant vantée par tous. Un monde divisé et ravagé par la terreur, l'aveuglement et la folie pour une durée aussi longue que l'environnement naturel le supportera, c'est-à-dire jusqu'à l'extinction de notre espèce... Sortir de ce cycle toxique et hostile s'avère une tâche insurmontable pour l'individu isolé. Elle ne peut s'accomplir qu'en retrouvant le chemin de la solidarité humaine et les valeurs qui la constituent.
Alors comment mener une action lucide et conserver une perception toute aussi lucide ?
En cessant purement et simplement d'alimenter notre existence personnelle des Trois poisons dans un premier temps. Puis en cessant d'alimenter notre existence collective de ces mêmes trois poisons, en cessant d'infliger aux autres ce que nous ne voulons pas qu'il nous infligent. Par quoi remplacer les Trois poisons ? Par les Trois vertus envers tous les êtres vivants : celle du Souverain, celle du Maître et celle du Parent.
— Le Souverain est celui qui protège les êtres vivants.
— Le Maître est celui qui transmet les connaissances et l'histoire du monde aux êtres vivants.
— Le Parent est celui qui aime les êtres vivants.
Protéger, transmettre et aimer, voilà les Trois vertus qui respectivement s'opposent à (et doivent remplacer) détruire, ignorer et accaparer.
Ces valeurs ne sont pas spécifiquement bouddhiques. Elles sont connues de toutes les confessions dans le monde entier. Ce sont des valeurs universelles. Et si personne ne peut les manifester pleinement du jour au lendemain, nous pouvons tous commencer dès aujourd'hui apprendre à les manifester dans notre vie quotidienne. Les résultats sont assez faciles à percevoir et ils ne tardent généralement pas. S'ils sont au début modestes, l'exercice constant de ces Trois vertus permet au bout de semaines, de mois, d'années, de décennies de voir apparaître un monde différent, régit par d'autres principes que ceux qui actuellement nous emprisonnent aujourd'hui dans la prison des illusions et de l'obscurité fondamentale.
Tout ce que nous avons à faire est de persister dans cet effort permanent... En aurons-nous le courage ? L'avenir nous le dira.

24.9.08

| La conspiration mondiale |

Sur les conseils d'une amie, j'ai regardé des vidéos (Daily Motion, Youtube) sur le Codex alimentarius et je reste perplexe. Non sur le sujet, car il y a bien un codex alimentarius, un réseau de commissions privées et non publiques, souvent financées par de l'argent public sans contrepartie de décision pour le public, qui décident, au niveau international en dehors des juridictions locales et surtout des réalités du terrain, de l'ensemble des directives et réglementations dans le domaine de l'alimentation.
Ce n'est pas, loin sans faut, le seul domaine dans lequel, en y regardant de plus près, nous n'avons aucune sorte de pouvoir d'intervention direct et représentatif. La gestion de l'eau, de l'énergie, des mouvements de populations, des formalités douanières, etc., la liste est longue.
Ce qui me dérange dans la présentation faite par le Dr. Rima Laibow, psychiatre de son état, c'est le ton et le fond relativement paranoïaque de son discours. Je dirais à sa décharge que la vidéo est coupée ça et là, que le sous-titrage est approximatif et souvent faux, ne reflétant en rien les nuances de langage du Dr. Laibow, ce qui accentue ce côté paranoïaque de conspiration mondiale voulue par ceux qui ont mis en ligne cette vidéo. J'ai cherché la vidéo in extenso mais pas moyen de la trouver pour l'instant.
Le problème que je rencontre souvent avec ce genre de cri d'alarme c'est l'incontournable complot mondial. Ce n'est pas qu'il n'y a pas une réelle connivence et conspiration de nombreuses organisations transnationales et de corporations industrielles puissantes. C'est qu'elles ne sont pas encore organisées dans le faisceau (fasciste) que décrivent grossièrement de nombreux whistleblowers (les gens comme le Dr. Laibow qui attirent l'attention publique sur un problème social grave). Quand je dis pas encore, cela signifie qu'au terme de luttes invisibles du grand public, mais perceptibles pour ceux qui se donnent la peine de s'informer et surtout de réfléchir prosaïquement sur les événements, il se peut qu'un camp l'emporte et nous réduise à un fascisme d'un genre nouveau dominé par la technologie sécuritaire et les manipulations biogénétiques. Or ce n'est pas tout à fait comme cela que l'affaire nous est présentée. Et de la même manière que l'on nous abreuve d'une conspiration mondiale avec des recoupements nombreux et des similitudes stratégiques dans le camp des méchants conspirateurs, il y a une unité de discours de la part de la plupart des détracteurs du fameux complot mondial.
Ce que dit le Dr. Laibow est documenté mais la façon d'articuler l'argumentation est biaisé. Il manque des liens de causalité et bien souvent les motifs ne sont pas les bons. Je n'entre pas dans la polémique ici mais il y a un principe de base qu'il faut garder à l'esprit quand on examine les discours et les actions : « à qui profite le crime...? ». Donc à qui profite ce discours alarmiste, terrifiant et radical ? La manipulation de la communication joue dans tous les sens. Pendant que l'on nous rebat les oreilles des dix troufions abattus dans le cadre de leurs missions et des risques qu'elle comportait, dans le champ de la politique intérieure, l'assemblée et le gouvernement font passer des lois qui réduisent les libertés individuelles. Donc pendant que le Dr. Laibow nous consterne avec les horreurs connues et archi-connues de IG Farben et du Codex alimentarius, que se passe-t-il en coulisses ?
Les images ont le pouvoir de frapper l'imaginaire sans passer par le filtre intellectuel de la réflexion. C'est un avantage et un défaut.
Il reste qu'il est important d'éveiller les consciences sur la valeur individuelle et sur le pouvoir de chacun à faire changer les choses. Plus encore, il s'agit d'éveiller les individus à leur capacité de mobilisation et de collaboration responsable afin de transformer la société dans laquelle ils vivent. De par le monde, un nombre grandissant de gens réussissent cet exploit. Je vous recommande à ce titre 80 hommes pour changer le monde, de Darnil et Le Roux, en Livre de poche, qui sont aller à la rencontre de personnalités certes discrètes mais efficaces qui entreprennent de transformer la société. Vraiment instructif. Je vous recommande aussi The Take, de Avi Lewis et Naomi Klein, film documentaire sur les reprises d'usines et d'ateliers à Buenos Aires en Argentine après l'effroyable crise financière qui a mis à genoux le pays et détruit la vie des gens. Dans le même ordre d'idée, le travail de Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto qui vaut d'être vu en vidéo (Arte Vidéo) et lu en livre (La découverte, 2008).
Il y en a encore bien d'autres qui ont pour trait commun de s'attacher à susciter courage et responsabilité personnelle plutôt que terreur et hostilité primaire comme le font beaucoup de documentaires, d'émissions, de livres qui tirent la sonnette d'alarme et n'ont comme discours que la négation et le rejet.
Nous vivons dans un monde assez moche, fragile, vandalisé par les masses incultes et stratégiquement dévoré par des industries nocives. Tout cela est vrai. Mais avoir raison n'a jamais créé de valeurs et la dernière des solutions et des postures à adopter est celle du conflit, car nous savons très bien où cela va nous mener... et surtout qui cela va enrichir davantage.
La lutte (et non la guerre) en cours est celle des esclaves des Trois poisons (Stupidité, Egoïsme, Orgueil) contre toutes les autres factions périphériques qui tardent ou peinent à prendre l'initiative. Il n'y a pas de face à face binaire, bons contre méchants. C'est plutôt Illusion contre réalité. Que l'on soit bouddhiste, chrétien, écologiste, activiste, altermondialiste, libre penseur, anarchiste ou que sais-je encore... Il est temps de s'éveiller au fait que nous vivons dans le monde des illusions. Ces illusions naissent dans notre boite crânienne sans laquelle nous ne pouvons survivre sous forme humaine. Il s'agit donc de réformer notre façon de penser, de nous programmer autrement, d'effectuer une authentique révolution intérieure afin de purifier, de raffiner, de parfaire notre capacité de perception du monde qui nous entoure avec son incroyable foisonnement et son délicat agencement en contante transformation.
Cet exercice quotidien repose sur la volonté de quitter une certaine forme de confort matériel pour parvenir à un équilibre intérieur qui fait fi des circonstances et considère tout obstacle comme une occasion de développement personnel et collectif. Les machinations grossières et technocratiques d'une petite minorité déshumanisée sont certes dangereuses mais elles ne sont pas de taille à résister à un mouvement de la multitude même partiel qui lui retire sa confiance et ses ressources. Que seulement 10% des clients d'une banque nationale se précipitent pour retirer leurs argents et leurs économies et la banque s'effondre en quelques heures. C'est ce qui est arrivé à Lehmann Bros., troisième banque américaine la semaine dernière. Comble de l'anecdote, c'est avec des deniers publics que l'état américain est allé sauver la banque... Dans quel monde vivons-nous ? Combien de temps les gens vont-ils encore se comporter comme des moutons dociles et inoffensifs ? Dans les conditions actuelles, les rebondissements de l'Histoire peuvent se dérouler en l'espace de quelques jours, parfois même de quelques heures...
C'est maintenant que nous vivons des moments historiques et palpitants. Il ne faut pas en perdre une miette et contribuer aussi fort que possible dans la mesure de ses propres moyens. Moi j'écris et je diffuse mon message. Et vous que faites-vous ?

18.9.08

| Le profit, ennemi du bonheur |

Sans plus d'adversaires à son seul modèle économique, le capitalisme néo-libéral domine non seulement le monde mais également la façon de se le représenter. Le monde capitaliste est unique, indivisible, centralisé et pyramidal. Une poignée de possédants commande un cadre de décideurs parfaitement dressés, qui organisent une armée d'agents zélés, qui eux mêmes mettent en coupes réglées des légions d'esclaves d'un genre nouveau.

Autrefois les esclaves étaient enchaînés par la nécessité de la survie. Mais l'histoire a prouvé que ce mode de coercition est contre-productif et parfaitement instable à moyen et long terme. D'autre part, l'esclavage est moralement rebutant et très difficile à soutenir du point de vue religieux, première forge de l'éthique individuelle. Toutefois, l'esclavage demeure l'un des principes les plus efficaces en matière de contrôle des populations et encore à ce jour, il est pratiqué de manière locale dans certaines régions du monde.
Il a donc fallu inventer une nouvelle définition de l'esclavage et remplacer la survie par une autre nécessité vitale et absolue. L'esclavage devrait changer de nom et les chaînes qui lui donne ses caractéristiques de mécanisme de contrôle devraient se faire invisibles. Cette disparition de la servitude a été la partie la plus simple de la transformation de l'esclavage.
L'esclavage repose sur une articulation simple : ta force de travail est à mon service exclusif et inconditionnel en échange de quoi je t'assure la survie. Les conditions de cette survie sont soumises à la conjoncture économique et à mon bon plaisir. Avec l'abolition de l'esclavage, des populations entières se sont retrouvées dans la rue, sans ressources, sans moyens, sans qualification, ni instruction. Souvent transplantées depuis des générations et jamais intégrées, elles se sont retrouvées à la merci d'une nouvelle forme d'esclavage entièrement articulée, cette fois, sur le travail salarié...
Tu n'es plus obligé de donner ta force de travail. Tu la vends. Tu n'es plus contraint à l'exclusivité, pas plus que ton employeur. Tu n'es pas obligé de te plier aux conditions de travail imposées mais le prix à payer est de n'obtenir ni le travail, ni la rémunération correspondante. Sans rémunération, pas de subsistance, pas de protection, pas de survie possible. Adieu l'esclavage et bienvenu dans le monde du travail salarié. Au revoir l'asservissement, bonjour la dépendance.

Avec la fin de l'esclavage comme premier moyen de contrôle des populations et des forces de travail, de nombreux mouvements populaires ont cherché à établir de nouvelles règles sociales pour se défendre contre les possédants et protéger les démunis nouvellement libérés de leurs chaînes. Car si l'esclavage, puis le servage ont été abolis sur des périodes assez longues, il n'y a pas eu de réel transfert de propriété au profit des affranchis. Les grands propriétaires terriens ont conservé l'essentiel de leurs biens (malgré des rebondissements révolutionnaires) et les grands industriels ont conservé les fortunes qui leurs ont permis de développer le monde dans lequel les descendants de ces affranchis vivent aujourd'hui.
En Occident, seul un nombre restreint d'affranchis a réussi à se hisser à la hauteur des grands de ce monde, mais ils conservent la marque de leurs castes ou de leurs basses extractions. Pour le reste, les fortunes et les terres sont dans les mêmes mains depuis plus de deux siècles sans que les révolutions socialistes ne soient parvenues à en renverser le mouvement. Cette situation historique est entretenue grâce au pouvoir militaire et économique dont disposent les puissants. Telle est la réalité à gros traits du monde occidental.
Dans le reste du monde, l'Afrique est toujours enlisée et maintenue dans la misère. l'Amérique latine peine encore à se remettre des traitements effroyables que lui ont infligés d'abord les européens, puis les nord-américains. Enfin l'Asie s'est transformée en vaste usine du monde régie par les règles sociales de servitude maximale du 18e siècle anglais.
En y regardant de plus près, les occidentaux s'en sont plutôt pas mal tirés en abandonnant l'esclavage. Ils ont repoussé les guerres hors de leurs territoires, unifié les marchés commerciaux et les systèmes financiers, mis en coupe réglés des légions de salariés et se sont installés aux commandes d'un gouvernement mondial en usant de leur puissance de destruction et de leur contrôle exclusif des ressorts économiques.

La clé du succès occidental repose non sur la transformation de l'esclavage en salariat, mais sur le masquage des servitudes et des dépendances par la fabrication d'une fiction élaborée et efficace. Le salut et la rédemption inventés par les religions ayant été détruits par les Lumières et le libéralisme, il fallait un nouveau credo : le bonheur capitaliste et libéral. Rien à voir avec le bonheur tout court, notion philosophique relative et indéfinissable. Rien à voir non plus avec la plénitude ou l'éveil proposé par les philosophies orientales. Le bonheur capitaliste et libéral est tangible, pragmatique et s'inscrit dans la matière. Cette forme de bonheur est né de l'atténuation de la première nécessité, la survie. Lorsque la survie n'est plus un enjeu majeur sanctionné de vie ou de mort, que l'individu n'est plus autant menacé et que ses conditions lui permette d'envisager autre chose que ce qu'il va mettre dans son estomac une ou deux fois par jour, alors que cherche-t-il ?
La réponse est le confort par l'accumulation de tout ce qui viendrait à manquer dans l'avenir.
Dès son plus jeune âge, l'être humain développe une capacité tout à fait fascinante : le stockage. Au début de sa vie, bébé ne sait que faire de trois objets alors qu'il n'a que deux mains. Il lâche volontiers l'un pour prendre l'autre et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il se détourne de ces trois objets pour s'intéresser à autre chose. Mais assez rapidement, bébé découvre qu'il peut stocker le troisième objet, voire un quatrième et un cinquième dans des compartiments autres que ces mains. Ainsi sa bouche, puis les plis de ses vêtements, puis des récipients improvisés ou naturels deviennent des lieux de stockage de tout ce que bébé veux garder. C'est grossièrement sur cette phase de l'apprentissage de la vie que se construit notre propre capacité de stockage physique comme intellectuelle.
C'est aussi sur cette particularité humaine que s'appuie tout entier le capitalisme libéral. Ainsi le bonheur capitaliste est le stockage et la possession de tout ce qui participe du confort individuel (le confort collectif n'étant nécessaire que s'il maximise le confort individuel). Sur cette base se sont construit le consumérisme, la propriété privée, l'exclusivité, la détention du capital, l'actionnariat et le profit. Cette dernière notion n'est pas conçue comme un développement intérieur mais comme la maximisation des biens déjà possédés et l'augmentation de leur valeur en quantité comme en qualité. C'est sur la notion de profit que le capitalisme libéral a orchestré la fiction du bonheur capitaliste libéral. Le profit étant une notion relative à la somme de biens possédée, il est parlant pour tous, à tous les échelons de la pyramide.

D'un point de vue bouddhique, l'esclavage reposait sur le premier principe des Trois poisons, la stupidité. Car quoi de plus stupide qu'une foule d'esclaves exploités par seulement une poignée d'esclavagistes. La peur de la mort était le moteur de la perpétuation de ce système. Mais le besoin de maximiser les profits a permis une meilleure survie des esclaves et les a libéré, contre toute attente, de la servitude. La stupidité a été anéantie par la rapacité, deuxième principe actif des Trois poisons. Pour contrecarrer ce nivellement, les puissants ont recours au troisième principe actif, l'orgueil, afin de maintenir les anciens esclaves dans l'univers de la rapacité.
L'orgueil est une notion complexe qui en l'occurrence se définit par un sentiment de supériorité absolu des uns (les puissants) sur les autres (les faibles). Ces manifestations sont multiples mais toujours articulées sur la violence sous toutes ses formes : guerre, oppression, corruption, torture, etc. La stupidité se caractérise par l'absence de connaissance des choses, l'avidité par une obsession pathologique pour un nombre restreint de choses, l'orgueil par une perversion de la connaissance des choses de l'existence. Ainsi l'orgueil considère le stockage des ressources comme une source de pouvoir alors même qu'il ne s'agit que d'un moyen d'anticiper les aléas de l'existence. L'orgueil nous dicte de protéger nos biens contre les autres, de les repousser hors des limites de notre territoire, de tuer si nécessaire, de piller le bien des autres s'ils sont faibles ou moins bien organisés, de rivaliser avec ceux qui possèdent moins ou plus...
Où que l'on regarde, le monde moderne ne diffère pas du monde ancien. Les Trois poisons sont à l'œuvre et dominent les esprits. Au point que la lecture des écrits de Nichiren, pourtant vieux de huit siècles, nous éclairent tout autant que s'il avait été écrits hier : « Notre monde est le domaine du Démon du sixième ciel. Ses habitants sont liés à ce Roi-Démon depuis le temps sans commencement. Il a non seulement construit une prison de vingt-cinq royaumes dans les Six Voies afin d'y enfermer toute l'humanité, mais il a aussi mis des fers aux pieds des femmes et enfants, et pris parents et souverains dans des filets qui obscurcissent le ciel. Pour masquer la nature de bouddha qui est la véritable nature humaine, il incite les hommes à boire le vin de l'avarice, de l'orgueil-colère et de la stupidité, et ne leur donne à manger que des mets empoisonnés qui les laissent prostrés sur le sol des Trois mauvaises voies. » (Lettre aux frères, Minobu 1275)
En actualisant, voilà ce que cela donnerait : « Notre monde est dominé par l'illusion fondamentale. Ses habitants y sont attachés depuis la nuit des temps. L'illusion a produit non seulement des frontières et des systèmes afin d'y enfermer toute l'humanité, mais aussi des discriminations pour limiter les femmes et les enfants, et emprisonné les citoyens et leurs représentants dans des sphères artificielles qui les coupent du réel. Pour masquer la nature éveillée qui est la véritable nature humaine, l'illusion fondamentale abreuve les gens de consumérisme, de rivalités et de bêtises tout en les gavant de nourritures empoisonnées qui les laissent prostrés dans un monde de stupidité, de voracité et de bestialité... »
Mais qui est donc ce Roi-démon du sixième ciel, ou cette illusion fondamentale ?
Ce n'est pas une entité satanique ou une force négative transcendantale. C'est la capacité de chacun à se voiler la face, à faire preuve d'aveuglement et à se complaire dans les trois poisons alors même que l'on est parfaitement conscient de la trajectoire fatale que cela donne à notre vie individuelle ou collective. Cet aveuglement se nourrit de chaque cigarette que nous mettons à la bouche, de chaque injure que nous professons verbalement ou simplement en pensée à l'encontre d'untel ou d'unetelle, de chaque mensonge que nous inventons pour éviter une situation inconfortable, de chaque fois que nous prenons le volant le cerveau embrumé par l'alcool, de toutes les mesquineries et de toutes les brimades que nous subissons ou que nous faisons subir dans des emplois détestables et dénués de sens... La liste est sans fin.

Tous les jours, nous fabriquons notre modeste et efficace contribution à cette masse informe et infinie de stupidité, de violence et de frustrations. Et tout cela dans un seul et unique but ressassé ad nauseam à la télé, sur les murs du métro, dans les magazines, dans les livres, dans le discours des politiciens et des autres : le profit. Oui le profit. Nous perpétuons ce cycle toxique qui nous empoisonne la vie pour le seul et simple profit personnel et égoïste. Nous coupant de la réalité de l'existence plus complexe, plus vaste que l'individu et surtout plus difficile à appréhender.
C'est l'effort nécessaire qui nous rebute, car faute d'un moteur puissant comme la survie individuelle, nous sommes tous pareils... Nous préférons le confort personnel à la beauté du monde. Notre erreur est de croire que notre confort personnel peut échapper à la misère, à la guerre, à la famine, à la pestilence qui sera le lot des autres, des faibles, de ceux qui n'ont pas de chance ou qui n'ont rien compris...
La récente crise financière que les médias étouffent autant que leurs maîtres politiques et industriels leur commandent vient subitement contredire le modèle si performant du capitalisme néo-libéral. Le malheur des surendettés américains qui finalement ont perdu le peu qu'ils possédaient en essayant seulement d'obtenir un toit sur la tête semblait cantonné au pays du capitalisme sauvage, les Etats-unis. Mais telle une épidémie, la crise s'est étendue. D'abord à la Grande-Bretagne avec des faillites bancaires spectaculaires aussitôt étouffées dans l'œuf, puis par l'effondrement de l'immobilier, valeur de référence et de réserve traditionnelle... Et maintenant, la crise arrive sur le continent européen, solidement cadenassé derrière la BCE, alors qu'aux Etats-unis, la troisième banque américaine fait faillite, que la deuxième compagnie d'assurance mondiale est quasi nationalisée par la Banque fédérale américaine.
Il est curieux, voire suspect, de voir combien les pertes de la Société Générale ou du Crédit Agricole, passent rapidement à la trappe des journaux télévisés pour faire place à des conflits lointains, des problèmes écologiques insolubles ou des faits divers locaux. Mais c'est le propre des sociétés dominées par l'Orgueil, la Rapacité et la Stupidité que de masquer les chaînes de la servitude. Il faut continuer à consommer, à faire marcher le crédit, à ne pas céder à la panique, à faire tourner l'économie néo-libérale et à renflouer la finance internationale à la dérive. Et tout cela pour le profit de qui ? Des trois cent millions d'actionnaires qui possèdent le monde et des dizaines de milliers de gestionnaires qui démontrent leur incompétence à le gérer ?

Certains diront que j'exagère, que je caricature, que je considère des complexités économiques sous un angle simplificateur et populiste... Je ricane d'avance. Les gens se croient libres parce qu'ils ont un frigo, une bagnole et une baraque, mais ils oublient que tout cela est périssable et que le moment venu les compagnie d'assurance préfèrent un long procès à un règlement immédiat, comme c'est le cas à la Nouvelle Orléans en ce moment même. Les gens pensent que leur autonomie repose sur leur épargne et leur capacité de crédit, mais que se passe-t-il quand votre banque vous annonce qu'elle ferme ses guichets et qu'elle n'est plus solvable de vos avoirs ? Ça n'arrive pas qu'aux autres et pas seulement dans les républiques bananières d'Amérique centrale ou de l'Asie du Sud-est. C'est nos voisins anglais et américains qui en souffrent maintenant.
Le Daichido Ron, un traité classique du bouddhisme Mahayana déclare que les trois poisons sont la source de trois calamités : la guerre, la famine et la pestilence. Nous croyions que ces scénarios catastrophiques étaient désormais oubliés et relégués aux confins de notre champ de vision et de notre actualité. Que chacun se réveille ! Le profit néo-libéral est l'ennemi du bonheur. Il ne profite qu'à une poignée qui contrôle plus de la moitié des actifs mondiaux. Tous les autres n'ont que des miettes qui leurs seront enlevées si les temps se durcissent. Car comme le dit un proverbe chinois : « Quand les gros maigrissent, les maigres meurent. »
Au nom du profit et du pouvoir d'achat, le capitalisme néo-libéral détruit non seulement la planète mais aussi sa population humaine et animale. Devant l'ampleur du saccage, tout le monde ou presque semble s'en désintéresser. Que faire ? Comment combattre un tel mouvement ? Comment éveiller les consciences ? Comment trouver la force ? Toutes ces questions sont des feuilles de vigne que l'individu se lance à la tête pour éviter de prendre ses responsabilités personnelles dans la plus grave crise de l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui, il suffit de brancher la télé pour voir que les trois calamités sont déjà là ! Elles sont localisées mais nous savons que le monde est désormais globalisé. Et la crise financière qui frappe toutes les places de marchés des pays dits «développés» est le premier signe que les fléaux se propagent désormais à l'échelle de la planète.
Combien de temps allons-nous continuer à attendre avant d'agir ? Combien de temps allons-nous continuer à garder la tête dans le sable ?
Changer le monde est un effort constant, quotidien et responsable. Il nécessite de s'informer, de se remettre en question, de contester et d'agir concrètement. Mon action principale est d'écrire et de diffuser mon message. Ceux et celles qui veulent en discuter sont les bienvenu(e)s. Les alternatives existent. Les gens qui suivent le chemin du changement sont là... Et vous que faites-vous ?

14.8.08

| L'extraordinaire modèle conquérant chinois |

La Chine part à la conquête du monde. Cet immense empire autrefois campé sur ses limites orientales est désormais la grande puissance, certes discrète, de notre monde globalisé. Mais la Chine ne suit pas les modèles impérialistes occidentaux, erreur commise par le Japon à la charnière du 19e et du 20e siècle. La Chine use d'une toute nouvelle stratégie puisée dans les traités de stratégie militaire des temps antiques. Son secret : la claire et nette séparation entre le commerce et la politique.
Présente au Soudan, en Birmanie, en Iran, au Vénézuala, la Chine débarque non comme un état souverain mais comme une gigantesque corporation industrielle, en fait la plus grosse corporation mondiale : plusieurs dizaines de millions d'ouvriers à des tarifs horaires défiant toute concurrence, des centaines de secteurs d'activité, des liquidités en dollars quasiment infinies et la volonté de s'arroger les meilleures part de marché dans l'énergie.
Que propose la Chine à des pays comme le Soudan ou le Tchad ? Le déploiement d'infrastructures d'exploitation des champs pétrolier actuels ou futurs, ce qui comprend aussi des routes, des infrastructures d'hébergement, des usines, des projets immobiliers, des chemins de fer, en bref les infrastructures qu'aucune autre corporation privée ne peut proposer à un gouvernement. Non seulement la Chine offre tout cela mais à des taux de remboursement interdisant toute compétition à des multinationales ultra financiarisées prisonnières du bénéfice à court terme.
Quelles conditions la Chine impose-t-elle à ces pays ? Aucune ! Rien ! Nada ! Alors même que la banque mondiale ne consent des prêts qu'à des états qui s'engagent à respecter des gouvernances dictées par les gouvernements occidentaux (U.S. et Europe), la Chine déclare qu'elle n'intervient pas dans les affaires politiques et la souveraineté des peuples et des nations.
L'Occident crie au loup dénonçant la politique du laisser-faire. Mais la Chine ne répond rien et se contente de laisser les états régler leurs propres affaires quelques soient les factions au pouvoir. Il n'y a aucun cynisme dans cette démarche gagnant-gagnant car non partisane. La diplomatie commerciale chinoise est bénéficiaire dans tous les cas et inscrit sa politique dans une séparation stricte entre le commerce et la politique, au grand dam de la "communauté internationale".
La Chine dispose d'autres atouts efficaces pour repousser les tentatives hégémoniques des grandes corporations mondiales et des états qui leur sont soumis. Elle dispose d'un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU, au même titre que les Etats-unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Son droit de veto lui permet de paralyser la seule entité qui intervient régulièrement dans les affaires intérieures des états "rebelles".
Et si cela ne suffit pas, la Chine dispose d'une arme encore plus puissante : des réserves en dollars gigantesques. Premier bailleur de fonds des Etats-unis, la Chine dispose là du levier le plus puissant qui soit sur l'économie américaine et donc sur l'ensemble des corporations internationales.
La Chine conquiert le monde, et les vieilles stratégies impérialistes occidentales ne sont pas taillées pour l'arrêter.
Transformant le poison en élixir, la Chine a su et saura tirer parti des faiblesses apparentes du système libéral occidental pour le retourner contre les artisans historiques de ce dernier. La Chine change dans un monde qui tarde à entamer une transformation radicale de ses conceptions et de ses représentations. Et nous savons tous que les résistances au changement sont souvent les ferments de guerres aux dimensions mondiales...

1.8.08

| La Poste, au service du recouvrement |

La Poste est une institution extraordinaire. Créée par Louis XI pour acheminer les communications royales en temps de guerre (autant dire tout le temps), les relais postes vont bientôt rivaliser et détrôner les messagers d'universités (entièrement contrôlés par l'Eglise). Elle devient une institution républicaine avec la Révolution et l'Empire et accessible au public grâce à l'invention du timbre poste, contre-marque à valeur fixe contractuelle. Deux cents ans plus tard, La Poste est non seulement un service public de transmission du courrier privé et public, un service d'acheminement de marchandises et de biens mais aussi un organisme bancaire.
En ouvrant ses services aux particuliers, La Poste a permis la naissance de l'espace de communication publique. Et au travers de cet espace public, elle a libéré la communication du carcan dans lequel l'avait emprisonnée l'Eglise et le Souverain. Pendant une période relativement longue du point de vue de l'Histoire récente, mais très courte du point de vue de l'histoire humaine, La Poste a permis l'émergence de la liberté de circulation de l'expression au même titre que la presse et l'imprimerie. Mais ce temps épistolaire est désormais révolu et cette institution sans égale est revenue sur ses pas pour retrouver sa position initiale.
Aujourd'hui, qu'y-a-t-il dans notre boîte aux lettres ?
Des lettres d'amour ? Des correspondances dignes d'être publiées à La Pléiade dans quelques décennies ou siècles ? Des manuscrits uniques et réfléchis sur la condition des hommes et de leurs sociétés ? En vérité, rares sont les occasions de se réjouir du courrier. Seules les cartes postales épisodiques de quelque amoureux de l'écriture émaillent un flux quotidien d'informations publicitaires et de courriers administratifs.
La Poste est redevenue l'outil du pouvoir mais pas celui de l'Eglise et du Souverain. Elle est le service de notification de recouvrement de l'Etat et de la Banque. Et lorsqu'elle ne sert pas le pouvoir, elle se rémunère grassement sur la distribution de prospectus, de périodiques et de papiers publicitaires. Epluchez donc votre courrier et voyez vous mêmes : facture, facture, publicité, facture, publicité, facture, ad nauseam... On pourrait jeter le blâme sur le téléphone (encore géré par l'institution postale il y a seulement quarante ans) et sur Internet pour expliquer et justifier la relégation de La Poste à l'inconfortable rôle d'oiseau de mauvaise augure. Mais ce serait oublier le rôle original de l'institution.
Ce rôle s'est transformé pour épouser les mutations capitalistes contemporaines. Dans la gouvernance mondiale des marchands, le service postal est naturellement devenu le vecteur de choix pour toutes les formes de recouvrement de créances et surtout celles des principaux acteurs de la gouvernance marchande : les organismes collecteurs et les organismes financiers qu'ils soient publics ou bien privés.
Pendant un temps, nous avons entretenu le mythe d'une poste organique, véritable lien invisible et privilégié entre les individus. Nous avons même été jusqu'à croire que le courrier pouvait constituer une sorte de contre-pouvoir face à la propagande et au totalitarisme. Le facteur était une sorte de héros discret et fidèle, lié par un serment informel de bonne in de service. Mais cette mythologie cède le pas au réalisme cynique d'une époque vide de sens et de finalité dominée par la dictature des plus riches.
Finie la poste de mamie qui vous envoie un petit pécule pour votre anniversaire. Finie aussi le postier sympathique qui vous amène des nouvelles de parents en province. La Poste, comme beaucoup d'autres institutions, a rejoint le camp du profit et de la performance. Et ouvrir la boîte aux lettres ou la porte au postier peut s'avérer nuisible au reste de votre journée. Du service des usagers, La Poste est maintenant au service du recouvrement. Par les temps qui courent, il n'est pas impossible que le postier, tout comme le pompier il n'y a pas si longtemps, devienne une cible privilégiée dans des contextes urbains explosifs et manifestement en décalage avec l'opulence des messages publicitaires et les demandes parfois injustifiées de créanciers avides et dépourvus de morale.
Que faire contre cette apparente fatalité ?
Seuls, notre marge de manœuvre est extrêmement limitée et l'impact de notre action est invisible. Mais collectivement, des opportunités se présentent. Pour combattre l'invasion publicitaire de votre boite aux lettres, le simple macaron ne suffit pas. Et il est important de savoir que le coût de collecte et d'élimination de cette inondation publicitaire s'élève jusqu'à 150 € par tonne de papier et de plastique. Sans compter que le coût d'envoi et de fabrication de ces publicités sont répercutés sur les prix des produits proposés.
Pour la publicité qui ne comporte pas votre adresse, prenez le temps de la mettre dans une enveloppe sans la timbrer et expédiez là soit à l'annonceur, soit directement à la présidence de la république (c'est-à-dire à la chancellerie). Vous pouvez évidemment y joindre une lettre de protestation. Le coût de l'envoi est à la charge de celui qui reçoit le pli. Une autre stratégie est de mettre les prospectus non adressés dans les boîtes aux lettres jaunes de La Poste, puisqu'elle distribue plus de 50% de ces mêmes prospectus. Enfin, vous pouvez demander au facteur, au receveur des postes ou encore à la direction de la Poste locale de ne plus recevoir de prospectus non adressés. Parfois, vous tombez sur un être humain et il ou elle fait le nécessaire qui est votre droit le plus strict.
Pour le courrier comportant votre adresse, c'est encore plus simple. Rayez votre adresse, inscrivez la mention "Refusé, courrier non sollicité", ne timbrez pas et hop dans la boîte aux lettres de la Poste.
Pour les courriers de recouvrement, il faut encore s'adapter à de nouvelles conditions. Toutefois, l'intérêt principal de vivre en République est que l'information administrative est publique. Il est donc possible à tout un chacun de se saisir des textes de loi, des décrets d'application et sans aucune formation juridique de plaider sa cause. Bien qu'en France, les Class actions ne soient pas permises, il existe une foule d'associations de défense des consommateurs et des contribuables très expérimentées sur le terrain de la contestation républicaine. En recevant des courriers hostiles, émanant d'organismes de recouvrement, d'huissiers ou autres créanciers, il est simple et souvent peu onéreux (une adhésion simple à l'association en question) de se faire conseiller dans des cas de litiges, y compris avec les institutions de la République.
Une fois de plus, il faut savoir que les litiges constituent une part considérables des bénéfices et des chiffres d'affaires de milliers de sociétés privées ou juridiques et que les délais de mise en recouvrement se sont réduit de manière radicale en seulement 20 ans. Il est donc important et responsable de toujours considérer l'éventualité d'un conseil, d'une démarche de défense ou de contestation dans tous les litiges qui se présentent... Tout le monde y a recours (car personne n'aime le sale travail) et nul n'est à l'abri.
En conclusion, bien que La Poste abandonne son rôle de ciment social pour devenir un rouage dans la machine de recouvrement de créances, il nous est encore possible de transformer le poison en élixir et de mettre les moyens de La Poste à notre service tout en faisant porter le coût à des tiers apparemment anonymes et hors d'atteinte. Il ne s'agit pas de se montrer plus malin mais seulement de faire siens les principes institutionnels et républicains qui ont été déployés par nos aînés et ceux qui, en leurs temps, ont fait passer en priorité notre futur devant leurs intérêts immédiats.

| La justice internationale, une arme contre les peuples |

ARTE consacre cette semaine une série d'émissions thématiques sur les conflits dans l'ex-Yougoslavie, essentiellement centré autour de la Serbie et du symbole du régime de l'époque, Slobodan Milosevic. L'une de ces émissions porte sur le procès attenté par le Tribunal pénal international [TPI] de La Haie à l'encontre de Milosevic pour crime(s) de guerre et crime(s) contre l'humanité. Au travers de ces nombreuses émissions, démontrant un choix éditorial de qualité à la hauteur de la chaîne de télévision qui les diffuse, on redécouvre une chronologie et les témoignages filmés de nombreux protagonistes de cet événement que l'on considère maintenant comme l'histoire des Balkans, de l'Europe et du monde en général.
Ayant de profond liens avec les serbes de France depuis plus de 25 ans et marié avec une française d'origine serbe, il m'est difficile de faire la part des choses étant personnellement impliqué dans cette histoire, même de façon lointaine. Pratiquant le bouddhisme Soka depuis plus de vingt ans, ces événements ont d'autant plus d'importance qu'ils posent de manière aiguë l'impact de la guerre, de la haine raciale, ethnique ou culturelle et surtout de la justice sur la vie des êtres humains.
Nul doute que les horreurs perpétrées par des forces armées en état de guerre, que les exactions des militaires et des francs-tireurs qui les accompagnent sont des actes intolérables et totalement inexcusables. Mais ce qui frappe l'esprit dans cette description méthodique selon des angles de vue toujours différents est la volonté de montrer une certaine image des réalités de l'époque et surtout des mobiles de tous les événements qui ont précipité les Balkans dans la guerre totale, civile et définitive. Au travers de cette articulation historique de notre Europe, ce sont les termes et les mécanismes des conflits contemporains qui émergent. Mais plus encore, avec la mise en œuvre, et dans une certaine mesure la mise en scène, du procès de Milosevic au TPI, ce sont les rouages invisibles des relations internationales qui affleurent pour qui sait les lire.
Je n'ai pas la prétention de percevoir correctement les infinies subtilités de la Guerre des Balkans. Je ne suis ni diplomate, ni magistrat, ni avocat spécialiste des affaires internationales, ni militaire de haut rang et encore moins représentant politique. Mais je ne considère jamais les informations, surtout télévisées, comme vérités ou même reflets d'une vérité quelconque. Pour comprendre une telle complexité, j'essaye, à titre personnel, de parler avec autant de gens concernés que possible afin d'avoir des informations de première main, même tempérées par les émotions, les a priori et la culture individuelle. Ensuite, j'essaye de comprendre les situations du seul point de vue des individus, des êtres humains et non du roman que chacun raconte.
Dans l'ensemble de la Guerre des Balkans, ce qui me frappe en premier lieu c'est le rôle, le poids et l'incroyable influence de ce qu'on appelle désormais la «communauté internationale». Qui est cette soi-disante «communauté internationale» ? La réponse évidente est de dire qu'elle est une autre appellation, plus populaire, de l'ONU. Mais ce n'est pas le cas. Dans tous les théâtres d'opérations de la «communauté internationale», Irak, Somalie, Yougoslavie, Iran, Palestine... ce n'est pas l'ensemble des pays de l'ONU qui a été représenté mais une portion réduite à une partie seulement, essentiellement concentrée dans le conseil de sécurité de l'ONU. Ce dernier est composé de 5 membres permanents (tous vainqueurs de la Seconde guerre mondiale) et de 10 membres non permanents renouvelés tous les 2 ans (selon un procédé relativement complexe qui les rend impuissants).
La «communauté internationale» est avant tout une notion nébuleuse et inconsistante qui permet aux services de communication de désigner les coalitions de pays riches et avancés contre d'autres pays impliqués dans des règlements ou des conflits frontaliers dont les origines sont en majorité attribuées aux politiques de colonisations de ces mêmes pays avancés et riches désormais coalisés. Plus symboliquement, la «communauté internationale» désigne le camp du bien face aux forces du mal, quelles qu'elles soient, où qu'elles soient. Ces deux déclarations sont sommaires mais enfoncent de telles portes ouvertes que je ne perdrais pas de temps à élaborer sur une argumentation.
Toujours dans cette Guerre des Balkans, le deuxième acteur spectaculaire est le TPI, le Tribunal pénal international. Ce dernier ne doit pas être confondu avec la Cour pénale internationale. Les TPI sont des tribunaux temporaires et exceptionnels décidés et imposés par le Conseil de sécurité de l'ONU, c'est-à-dire par la France, les Etats-unis, l'ex-URSS, la Chine et le Royaume-uni plus que les dix non permanents qui n'ont concrètement aucun poids. Ces tribunaux disposent de moyens considérables, entièrement financés par l'argent public de tous les adhérents payants de l'ONU et surtout de l'appui du Conseil de sécurité. Ils ont, nous l'avons vu, la capacité à déférer un chef d'état, élu légalement par sa population et à le considérer comme un simple accusé de droit commun au-delà de la juridiction légale et souveraine de son propre pays. Cette suprématie pose d'énormes problèmes de droit international relevé à plusieurs reprises par nombre de pays membres de l'ONU et critiqués en conséquence.
Depuis les TPI pour la Yougoslavie (1993), celui pour le Rwanda (1994), les Nations unies, cette fois en assemblée, ont adopté, par le traité de Rome une Cour pénale internationale disposant d'une compétence plus large que les TPI. Mais les trois principaux membres permanents du Conseil de sécurité (Les Etats unis, la Chine et la Russie) ont refusé de le ratifier (ainsi que 85 autres pays). La CPI est une perte de contrôle évidente des trois plus grandes puissances du monde sur l'outil juridique international. A la lumière de cette fin de non recevoir, ces institutions apparaissent comme ce qu'elles sont : des instruments de rétorsion contre les états, et au travers des états, les sociétés et les peuples.
En dépit de la déclaration d'intention des TPI, de juger des personnes et non des gouvernements ni des populations, la nature de l'intervention des TPI les extraient du champs de la puissance publique. La puissance publique dispose dans chaque pays et selon la nature des régimes gouvernementaux d'une force de police et d'un appareil judiciaire chargés de maintenir l'ordre et de faire respecter les lois édictées par les représentations populaires (chambres, assemblées, congrès, etc.). Les TPI se placent en surplomb de la capacité des peuples, de leurs représentations politiques et de leurs appareils judiciaires propres. A l'image des membres permanents du Conseil de sécurité, ils sont supérieurs aux intérêts des peuples et des pays.
En faisant le procès d'un homme, en l'occurrence Slobodan Milosevic, le TPI dit ne juger ni le gouvernement, ni les populations. Mais l'homme d'état est le produit d'un régime, des institutions qui le constituent, des élus et des électeurs. Cette réalité a servit largement l'accusation afin de démontrer les chaînes de commandement et de charger l'accusé. Et même dans une dictature féroce (ce qui n'était pas le cas de la Yougoslavie), la population contribue également à la perpétuation du régime. Les exemples historiques tels que Gandhi, Mandela et d'autres démontrent la capacité des peuples à reprendre en main leurs destins nationaux et à cesser un collaboration passive. Il est donc hypocrite de déclarer que le TPI ne juge pas les populations et les régimes. Il est également hypocrite de déclarer que le TPI est une institution produite par la puissance publique internationale ou bien par une quelconque «communauté internationale» ou planétaire.
Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, il aura fallu seulement dix ans pour voir apparaître de nouvelles institutions supranationales capables de permettre aux grandes puissances d'intervenir partout et en toutes circonstances en disposant d'arguments juridiques à l'appui de leurs politiques. Je ne dis pas qu'il ne fallait pas intervenir dans les conflits des dix dernières années (Rwanda, Serbie, Somalie, Koweit, Ethiopie, etc.). Je dis que les institutions juridiques internationales crées pour justifier les interventions armées sont également des armes et des moyens de rétorsion contre les états. Plutôt que de permettre l'émancipation, elles sont des outils de coercition, d'aliénation et surtout les ferments d'autres conflits sans fins, sans limites, sans frontières, ce qu'on appelle aujourd'hui le terrorisme.
Au final, les véritables victimes de cette globalisation juridique, ce sont les peuples, les familles, les individus que ces mêmes institutions sont censés protéger et servir. Mais les serbes ont-ils été libérés du «joug» de Milosevic grâce au TPI ? Les Croates et les Bosniaques ont-ils bénéficié des conséquences de ces interminables simulacres de justice ? La situation locale est-elle meilleure ? Vivable ? Les jeunes générations ont-elles hérité d'un nouvel espoir, d'une nouvelle vie ? La réponse est toujours la même et le spectacle renouvelé de ces événements, qui ont eu lieu il y a plus de dix ans, continuent de hanter les populations locales et de démontrer l'impuissance des riches et des puissants à fabriquer une image de justice mondiale, suprême, bienveillante...
Je remercie ARTE de nous rappeler combien nous autres occidentaux sommes incapables de déployer un modèle nouveau, innovant, de civilisation où les idéaux de justice, de fraternité et de tolérance seraient réalités. Mais peut-être est-ce là un rêve utopique, une illusion qu'il nous faut perdre pour devenir nous aussi des bourreaux indirects de ceux qui ne veulent pas courber l'échine devant le capitalisme triomphant qui domine le monde.

12.6.08

| De la formule incantatoire à l'action concrète |

La formule incantatoire est devenue le trait caractéristique de la culture moderne. La rhétorique et la puissance du récit ont remplacé l'action concrète et la production de réel permettant à une grande majorité de politiques, de faiseurs d'opinions et de maîtres à penser de s'en tenir à la construction et au polissage de discours pleins de sens mais dépourvus de mise en œuvre. Cette domination du langage s'explique en partie par l'hégémonie sans conditions de l'image sur tous les autres vecteurs, soutenue par les technologies de l'audiovisuel et de l'information permettant désormais de s'adresser à tous partout dans le monde à n'importe quel moment du jour ou de la nuit.

Lire implique un effort : déchiffrer, puis comprendre, puis assimiler et réfléchir pour finalement faire sien ou rejeter ce qui a été lu. Lire sans comprendre revient à regarder les alignements de lettres et l'enchaînement des lignes. Et regarder ne comporte aucun effort. Observer et comprendre ce qui est perçu requiert culture et pertinence, mais regarder est à la portée de toutes les créatures vivantes dotées de capteurs oculaires. Les moutons regardent passer le train comme le chien et le berger qui les guident vers les alpages. Tous ont des yeux et si le train explose en marche, il ne fait aucun doute que homme, chien et moutons seront tous stupéfiés puis pris de panique.

L'image, à la différence de la lettre, a cette particularité de frapper l'esprit immédiatement. Elle est comme la parole dite. L'image frappe l'œil, la parole frappe l'oreille. Ensemble, elles forment un couple performant qui a permis à des générations entières de saltimbanques de divertir les foules, aux hommes de pouvoir de les influencer et aux hommes d'église de diffuser leurs dogmes. il n'est donc pas étonnant à ce que les technologies aient autant développé les moyens de diffuser l'image et le son au détriment de la nécessaire évolution du livre.

Le livre a toujours été le territoire des élites. Durant un court moment de l'histoire des êtres humains, il a été accessible au plus grand nombre au travers d'expériences telles que la presse, le livre de poche ou l'encyclopédie. La vocation, prenant sa source dans l'esprit des Lumières, était de diffuser les connaissances à tous et permettre l'émancipation vis-à-vis de la religion et de l'obscurantisme dogmatique. Deux siècles plus tard, pourtant inventeurs de l'édition et de la paperasse, les peuples arabes font aujourd'hui une démonstration terrifiante de l'aveuglement religieux. En Chine, inventeurs du papier et de l'académisme, on avait fait cette même démonstration de l'aveuglement idéologique dès les années 1960. A présent, le prix du papier, la désaffection considérable des jeunes générations pour l'écrit, la domination de la rentabilité et de la performance sur l'industrie du livre sont autant de facteurs destructeurs qui ruinent les efforts des esprits éclairés du 18e siècle.

Depuis les années 60, avec la « démocratisation » de la télévision, amplifiée par la révolution de la société de l'information à la fin des années 90, ce sont les médias audiovisuels qui tiennent le haut du pavé et qui dictent leur loi à toute forme de diffusion du savoir ou tout simplement de l'information. Grâce à ces nouvelles technologies, les individus se réinventent une société orale, personnalisée, où la communication passe moins par la relation épistolaire que l'on entretient avec les autres mais par les images et les sons que l'on partage, que l'on transmet, que l'on reçoit massivement à l'échelle de la planète. Car l'image, la musique et d'une certaine manière la gestuelle sont des langages internationaux compréhensibles au-delà des mots et de la langue. Mais ce miracle de la communication qui met en réseau la totalité d'un monde sur un même niveau de transmission des informations cache des décalages dans les réalités de chacun, gomme les différences sous le vernis de la dématérialisation et fait miroiter l'illusion du pouvoir des individus sur les grands systèmes.

Dans cette civilisation des images et des bruits, ceux qui manient avec compétence et habileté la langue et les symboles sont capable de produire des effets bien plus efficaces et bien plus durables que ceux produit par le tribun au sénat de Rome de l'Antiquité. Et bien que les orateurs grecs et romains soient encore les modèles des « parleurs » contemporains, la tribune a changé radicalement et le public ne se limite pas à des aristocrates policés et érudits. Car si les mots et les images ne sont que des arguments et des idées pour ceux qui les ont apprivoisés, ils deviennent des armes et des leviers envers ceux qui les méconnaissent et manquent à les maîtriser.

Ainsi l'avènement de la civilisation de l'image a vu s'établir la suprématie des figures publiques, devenus les idoles modernes du monde du spectacle comme de la culture ou de la politique. On ne vénère plus des statues dans des alcôves de temples à colonnades. On scotche devant la télé en regardant qui la chanteuse milliardaire, qui l'acteur phare, qui l'intellectuel en vogue, qui la personnalité de pouvoir. Dallas et Dynastie sont devenus réalité tout comme par le passé des Jules César ou des Louis XIV avaient fait du divin leur ordinaire. Les écrans de notre vie quotidienne sont devenus les fabriques de la mythologie moderne et des symboles de la puissance, tout comme les cours et les temples l'avaient été autrefois.

On ne compte plus les études, les essais, les pamphlets sur la question des médias et de l'obsession de contrôle dont ils font l'objet. Tous s'accordent à dire que les tentatives de contrôle sont plus fortes que jamais et tous persistent dans l'illusion que ces derniers sont encore un espace de liberté. Le mythe du libre arbitre à la peau dure.

Mais en même temps que s'est développé une rhétorique médiatique, l'individu a été progressivement et rapidement submergé par un flot d'informations. Dans ce flux incessant et en expansion constante, l'individu a découvert l'état de dégradation de son environnement, les rouages trop souvent infâmes de la politique, les décalages effrayants de conditions entre les peuples... Devant ce raz-de-marée, les élites politiques, religieuses, industrielles et même intellectuelles ont développé de nouvelles stratégies et une culture médiatique spécifique. Cette nouvelle culture repose sur les principes anciens mais efficaces de la narration, de l'évocation symbolique, de la mise en scène. Ces principes qui ont constitué le théâtre, l'art du conte, de la dramaturgie, profanes ou sacrés, sont maintenant au service d'une rhétorique nouvelle et incantatoire.

Pendant des siècles, le contrôle sur les populations s'est exercé en occultant et en restreignant le savoir et l'information. Mais l'explosion des écrans et des réseaux sur fibre optique a complètement transformé les anciens systèmes d'exercice du pouvoir. Tenter, comme le font les potentats chinois, russes ou les monarques du Moyen-Orient, de contrôler et de museler les médias reste une démarche vaine. En plus d'être relativement inefficace, cette stratégie ne fait qu'accroître le sentiment d'injustice et d'oppression qui finit toujours par coûter le pouvoir aux mêmes autorités à plus ou moins long terme. Et même ainsi, ces régimes totalitaires sont forcés de forger un discours, de raconter des histoires qui doivent sembler les plus plausibles afin d'atténuer l'opprobre dont ils feront l'objet.

Désormais, les politiques, qu'elles soient gouvernementales, sociales, culturelles, religieuses ou industrielles, sont menées par des professionnels qui savent mettre en scène les événements, puis les mettre en perspective afin de faire valoir un point de vue parfois entièrement contradictoire mais complètement acceptable. Les OGM sont une expérience biologique à l'échelle de la planète dont personne ne connaît les répercussions à long terme, mais les firmes qui les développent n'hésitent pas à faire valoir qu'elles contribuent de manière décisive à lutter contre la faim et la pauvreté dans le monde. La France est la championne du monde de l'utilisation des pesticides dans son agriculture intensive mais elle fait valoir qu'elle est aussi la deuxième exportatrice mondiale de céréales, véritable et lucratif grenier de la communauté européenne. Les compagnies d'aviation sont proportionnellement les plus gros pollueurs de l'atmosphère par les rejets de gaz à effets de serre issus de la combustion du kerosène, mais elles sont aussi les garantes de la fluidité des échanges de marchandises dans des délais imbattables. Les exemples de ce discours paradoxal sont légion. Tout le monde voit midi à sa porte et personne n'est vraiment prêt à faire des concessions surtout s'il s'agit de réduire les profits annuels et de réduire son niveau de vie.

Alors devant ce double discours et l'aggravation quotidienne de la situation, que dire et que faire pour ne pas sombrer dans le désespoir et le pessimisme ? C'est là qu'entrent en scène les nouveaux maîtres de la rhétorique incantatoire. Leurs verbes de prédilection sont : devoir, falloir et pouvoir, leurs temps de conjugaison : le présent et le futur simple, leur personne préférée : nous. Leurs analyses sont fines, détaillées, documentées et leurs conclusions sont souvent justes. Leurs styles sont inégaux et l'intérêt qu'ils suscitent est divers. Politiques, journalistes, intellectuels, artistes, penseurs, philosophes, experts, spécialistes, responsables, chercheurs, ils exercent des fonctions reconnues, sont régulièrement invités à s'exprimer sur tous les sujets (y compris ceux qui dépassent leurs compétences) et constituent une sorte de tissu vivant de l'intelligence qui sait ce qu'il en est et ce qui doit être fait. La force de ce tissu : sa capacité d'évocation. « Nous sommes ici, mais nous pourrions être là-bas... Nous voulons changer et nous en avons les moyens... Nous ne pouvons continuer ainsi et il nous faut l'accepter...». Les déclarations d'intentions et les incantations creuses ne manquent pas.

Force est de constater que ce tissu intelligent produit une littérature considérable qui, pour les raisons que j'ai évoquées, n'est écrite qu'à l'attention des autres membres de ce tissu. Et si elle reçoit une forte promotion, elle sera achetée par ceux qui croient la comprendre ou ceux qui finiront par faire partie de ce même tissu intelligent. Cette authentique élite de la communication constitue également une formidable forge du discours éthique et moral ambiant. En la lisant, ou tout simplement en l'écoutant, à la radio, à la télé, sur Internet, en conférence, on a un aperçu assez précis de l'ensemble de principes auxquels il faut adhérer pour être du bon côté : celui de la raison, de la sagesse, de la bonté, de la bienveillance et du respect d'autrui. Le discours est fort, sensé, exemplaire, indiscutable. Les arguments font mouche et s'imposent comme vérité face aux bassesses de la politique politicienne, aux insolences des marginaux, à l'arrogance de l'argent roi et aux ignominies du pouvoir totalitaire... Mais le résultat en termes d'actions concrètes est généralement nul.

Ceux qui parlent et qui construisent le discours ne sont pas vraiment ceux qui agissent. Alors pourquoi sont-ils ceux que l'on voit le plus sur les écrans ? Pourquoi occupent-ils et elles tout l'espace de dialogue ? Et ce malgré l'atomisation de la presse et des organes d'information... Comment se fait-il que tout le monde, c'est-à-dire la majorité des gens disposant d'une télé ou d'un poste de radio, continuent-ils à écouter et à regarder toujours les mêmes qui répètent toujours la même chose ? Ces questions peuvent trouver réponse que dans la religion. Si je croyais en Dieu, je dirais que c'est l'œuvre du Diable. Mais je pratique le bouddhisme, alors ce doit être l'œuvre de l'obscurité fondamentale... une autre sorte de Diable mais moins symbolique, moins iconoclaste et beaucoup moins amusant.

Mais la vérité est que les gens sont pour la plupart allergiques au changement et n'aiment écouter ou regarder que ce qui les conforte et les rassure. Ils savent bien en leur for intérieur que cette attitude les conduit fatalement dans une voie sans issue au bout de laquelle ils seront confrontés, bien trop tard, à ce qu'évoque le vieil adversaire de Cyrano, le comte de Guiche (devenu Duc de Gramont). Il décrit en ces termes cette pente fatale :
« On sent,—n'ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal !—
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure...
»
(Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand)
Alors on recherche dans la voix et la figure de ces sages, hommes et femmes de qualité et de renom, la certitude d'être sur le bon chemin, la bonne route, le bon côté, sans avoir besoin de faire, de produire, de créer. Ce qui permet de rester tel que l'on est, de se conformer à ce qu'on a fait de nous et de ne pas en bouger.

Tout en atténuant et en masquant partiellement les horreurs du monde, notre civilisation de l'image nous noient dans un océan de conformisme et de tranquillité qui nous anesthésie. Et pour ainsi dire, c'est ce que nous voulons. Car nous savons tous ce que signifie de ne pas adhérer à ce modèle complexe et séduisant du conformisme moderne. L'alternative nous place en dehors du système, hors de la société, du salaire, de la carte bleu, des congés payés, de la sécu, du prêt à taux zéro et du crédit d'impôt... L'alternative n'est même pas de devenir marginal, car il ne s'agit là que d'une autre forme de conformisme. L'alternative sera plutôt de résister à l'envie de se soumettre, de lutter contre notre propre indigence, notre fainéantise, notre chère et confortable inertie, de travailler à défaire les habitudes et les hébétudes, de combattre le système sous toutes ses formes et de ne pas tomber pour autant dans le chaos et la sauvagerie. L'alternative est humainement surhumaine. Et personne ne souhaite être surhumain de son propre gré et surtout seul...

Alors ce soir encore, nous rentrerons en écoutant les incantations de la radio pour retrouver le pouvoir d'achat, ou pour lutter contre les injustices, ou encore se remettre au travail. Puis après avoir couché les gosses, nous irons accomplir le rituel de la télé, les uns en étant pollués par les chaînes dites populaires et les autres en croyant échapper à la pollution sur des chaînes dites thématiques. Mais peut-être que ce soir, on n'allumera pas la télé. On ne parlera pas des non-événements survenus au sein de l'entreprise qui nous exploite sans le dire. On ne fera pas le tour des bobos des gosses ni de leurs notes à l'école.

Ce soir, il se pourrait que l'on décide de briser le cours de l'habitude et d'en parler, d'évoquer d'autres futurs possibles, une autre façon de vivre et d'envisager très concrètement comment le faire sans pour autant donner un coup de pied dans la fourmilière. Il ne tient qu'à chacun de nous de laisser le monde poursuivre sur sa trajectoire d'auto-destruction. De même, il ne tient qu'à nous, individuellement et collectivement, de nous organiser et de nous mettre en action pour remettre notre monde sur un chemin moins délétère, moins nocif pour nos enfants, moins difficile pour nous tous.

Je peux invoquer la paix dans le monde comme principal moteur de mon engagement philosophique. Je peux aussi invoquer la culture comme passerelle entre les peuples. Je peux en appeler à une réforme de l'éducation pour permettre l'émergence d'individus autonomes et responsables plutôt que des zombis sans buts et sans âmes. Enfin, je peux dire tout le bien que le bouddhisme peut amener à la société française en particulier et à l'humanité en général. Mais ce qui compte, ce qui restera ce ne sont pas les discours, les appels, les allocutions, les articles ou les livres, mais les actes. Qu'est-ce que j'aurais accompli en tant qu'être humain parmi les autres êtres humains ? Que vais-je laisser derrière moi qui restera pour les autres un encouragement à aller de l'avant, à se dépasser et à choisir l'alternative plutôt que le confort ? Cela, je ne l'ai pas encore accompli et c'est dans cette voie que je continue de m'exercer. C'est cela la pratique du bouddhisme. Alors que perpétuer la rhétorique dominante, redire ce que d'autres ont déjà dit même en mieux, faire l'apologie de personnalités remarquables pour s'attribuer une part si faible de leur mérite ou de leur renom, tout cela n'est en rien la pratique du bouddhisme ni le développement de l'humanité.

L'éveil représente une alternative notoire et efficace à l'inertie du modèle conforme. Rechercher l'éveil aussi bien par une pratique rituelle que par l'étude philosophique et surtout par une mise en application des principes dans le quotidien le plus trivial est certainement un des engagements les plus difficiles. La discipline personnelle et intérieure qui est requise est mise à l'épreuve des forces prodigieuses qui écrasent chacune de nos journées. Mais cette dynamique représente une authentique révolution intérieure qui permet de se forger une identité dans le réel et d'entretenir avec ce dernier des rapports essentiellement basés sur l'expérience concrète, c'est-à-dire le résultat de l'action manifeste. Ainsi il est possible de vivre l'illumination, en tant que prise de conscience aiguë de la réalité qui nous entoure, dans notre vie quotidienne et de trouver des solutions à nos problèmes personnels et collectifs. Car croire que l'illumination est une expérience que l'on fait à l'ombre d'un arbre dans un cadre bucolique ou exotique, c'est ne rien connaître du bouddhisme.

Le temps n'est plus aux discours et aux déclarations d'intentions. Partout dans le monde, des voix s'élèvent pour dire les injustices et les décalages inacceptables dans une planète rétrécie par la révolution technologique. Difficile désormais d'ignorer ou de feindre d'ignorer le pauvre ou l'affamé à l'autre bout de la planète. Internet et la fibre optique l'ont transformé en voisin de pallier. Difficile aussi de se mettre la tête dans le sable pendant que des firmes transnationales sulfatent les champs, empoisonnent les eaux et les terres et tuent à petit feu la population pour le plus gros paquet de fric. Impossible de ne pas entendre les cris des victimes de cataclysmes, de conflits « régionaux », de régimes totalitaires... Il est temps que chacun de nous prenne ses responsabilités et commence à agir qui localement, qui plus largement, pour en finir avec le monde des trois poisons (violence, rapacité et aveuglement) et tenter de bâtir un monde nouveau qui ne reste pas au stade de l'utopie littéraire.

Inutile de dire enfin qu'une telle entreprise est à débuter dès maintenant...

3.5.08

| Renouer avec le travail |

Officiellement, les chiffres du chômage ont reculé en France pour la troisième fois consécutive dans les neuf derniers mois. Un peu moins de 2 millions de personnes sont désormais recensées comme demandeurs d'emploi. Le défi, à la fois individuel et collectif, pour surmonter cette situation est, pour nombre d'entre nous, une épreuve quotidienne.

Deux millions de demandeurs d'emploi est un chiffre très difficile à se représenter. C'est comme si la quasi-totalité de la population actuelle de Paris était au chômage. Deux million de personnes, c'est aussi la totalité des populations de Marseille, de Lyon, de Toulouse et de Nice réunies, pointant à l'ANPE. Additionnez les résidents de Nantes, de Strasbourg, de Montpellier, de Bordeaux, du Havre, de Rennes, de Reims, de Lille, de St Etienne et de Toulon et vous arrivez au même chiffre incroyable, irréel, impossible à raisonner. Ce qui est trompeur dans les chiffres que l'on entend à la radio ou à la télé, c'est la manière dont ils sont présentés.

Deux, c'est juste un plus un. Et « millions » ne signifie rien de tangible. En revanche, si vous lisez 1 919 600 demandeurs d'emploi, ça commence à avoir une toute autre signification. Commencez à mettre des visages sur ces chiffres, en prenant par exemple des visages de demandeurs d'emploi qui gravitent dans votre cercle amical ou familial et multipliez-le par le chiffre des demandeurs d'emplois en France et vous avez aussitôt le vertige. Alors lorsque le 20 heures ou France Infos annoncent de manière tonitruante que le chômage est en net recul de 1,2%, il faut comprendre que près de 300 000 personnes de 15 à 60 ans (avec une forte majorité de 25-49 ans) ne sont plus recensés dans les statistiques complexes et complètement opaques de l'emploi en France.

Cela veut-il dire que toutes ces personnes ont trouvé du travail ? Non. Cela veut seulement dire qu'elles ne sont plus considérées par les statisticiens et leurs systèmes de recensement comme des demandeurs d'emploi. Exemple : vous êtes demandeur d'emploi depuis des mois, voire des années. En décembre, à la faveur des fêtes, vous trouvez un petit job occasionnel qui vous permet de travailler quelques jours. Aussitôt, vous disparaissez des statistiques de l'ANPE, de l'INSEE ou de tout autre organisme pour être fondu dans la masse de la « population active ». Vous n'avez certainement gagné que quelques centaines d'euros, ce qui vous permettra d'envisager les fêtes avec un peu plus d'entrain, mais fondamentalement rien n'a changé.

« Demandeur d'emploi » n'est pas une fonction dans l'existence sociale et spirituelle d'un individu. Le statut ne donne pas automatiquement droit à une indemnisation puisée dans les innombrables fonds mutuels auxquels nous cotisons tous quels que soient nos régimes sociaux. Cet état nous laisse bien souvent dans une sorte de zone de non-existence dans laquelle il devient rapidement difficile de se définir et de poursuivre sa construction personnelle dans cette vie.

Selon les tempéraments, chacun aborde différemment cet état social de « demandeur d'emploi ». L'appellation en elle-même a quelque chose de choquant, surtout pour les pratiquants d'une spiritualité qui a pour base la responsabilité et l'initiative personnelles. Le demandeur d'emploi est « en demande ». Et quelle que soit la manière dont on tourne le problème, ou le point de vue que l'on adopte, la société nous perçoit comme un individu « en demande », désormais incapable de produire et dépendant de ce que les autres vont donner.

Pour beaucoup, cette période est le moment de combats importants, pour ne pas dire décisifs, qui nous amènent à dépasser les limites que l'on croyait être le périmètre de notre vie active jusque-là. Ces combats intérieurs et extérieurs ont pour champ de bataille notre vie et les relations que nous entretenons avec le monde qui nous entoure. Ils touchent notre perception de nous mêmes, la sensibilité et le regards de nos proches, la considération et le respect de notre environnement humain. Inutile de dire que ces combats s'accompagnent d'un lot considérable de souffrances diverses.

Comment le bouddhisme considère-t-il le travail ? Quel est sa place dans la pratique quotidienne ?

Nichiren, moine bouddhiste japonais du 13e siècle, dit dans une lettre Réponse à un croyant (Lettres et traités de Nichiren Daishonin, T3, 307, ACEP) : « Considérez le service de votre seigneur comme la pratique du Sutra du Lotus. C'est précisément ce qui est dit dans le Hokke Gengi : "Rien de ce qui concerne la vie quotidienne ou le travail n'est si peu que ce soit différent de la réalité ultime." » Cette affirmation était d'un poids bien particulier dans un contexte où perdre son emploi équivalait à une mort certaine pour soi comme pour toute sa famille. Fidèle à son principe de cohérence avec la vie quotidienne, Nichiren explique ici à son correspondant que le service envers son seigneur fait partie intégrante de sa pratique du Sûtra du Lotus. Son travail est une composante de son existence spirituelle.

Une lecture moderne de cette lettre du 13e siècle nous rappelle que le travail est aussi une part importante de notre développement personnel et le lieu où nous avons de nombreuses opportunités de nous construire. Notre emploi a donc une importance majeure dans notre vie à la fois comme moyen de subvenir à nos besoins, comme théâtre de notre créativité et comme terrain d'entraînement dans l'interaction avec autrui au travers d'une foule de situations souvent imprévisibles.
Socialement parlant, le travail est aussi le garant de notre statut social, de la reconnaissance que nous obtenons de nos pairs et le gage de notre existence et de notre poids au sein d'une communauté. Toutes ces facettes sont contenues dans cette simple phrase de ce moine japonais : « Considérez le service de votre seigneur comme la pratique du Sutra du Lotus. » La pratique du bouddhisme en particulier et de la spiritualité en général se révèle dans toutes les facettes de notre vie quotidienne et de notre action dans la société. De même, ces dernières s'inscrivent de manière cohérente dans la réalisation de l'éveil. Dans ce contexte, que l'on pratique ou non le bouddhisme, il devient évident que la perte du travail est vécue par n'importe qui comme un handicap social majeur, comme une souffrance morale, comme un vide spirituel.

Il serait facile dans cet article de démontrer comment la tradition judéo-chrétienne de la culpabilité et du péché ont façonné une sorte de cycle de la souffrance lié au labeur. Puis il serait aisé de démontrer comment les théories marxistes et les concepts libéraux ont indexés le travail sur le profit et réduit la mission de l'individu en ce monde à la seule production de richesses et de biens de consommation. C'est un exercice qui relève de la seule observation des effets, des conséquences et des répercussions. Or, ce qui importe dans la démarche bouddhique de l'école de Nichiren c'est la cause, la motivation, les ressorts intérieurs qui animent les actions humaines. Et quoi de plus significatif parmi les actions humaines que le travail d'un individu.

Depuis plus de 20 ans, de nombreux sociologues éminents tentent de construire une rhétorique sur la nature, la valeur et la destination du travail. Tous conviennent de la brutale transformation de celui-ci et de la nécessité de le repenser. Mais d'aucun ne peut apporter de solution concrète pour palier aux souffrances et aux difficultés rencontrées dans le quotidien par ceux et celles qui perdent leur emploi, sont en demande d'une nouvelle activité ou, tout simplement, peinent à retrouver un poste. La réponse à ce besoin de travail et à comment renouer avec le travail ne se trouve pas dans les ouvrages et les discours érudits des chercheurs en sciences humaines.

Le lien que nous entretenons avec le travail ne repose donc pas sur les seules contraintes et limites imposées par les nécessités extérieures. Notre travail, qu'il soit activité ou vocation, relève de ce que nous souhaitons apporter au monde, des causes dont nous souhaitons manifester les effets. Ces dons de soi et de son temps, même s'ils sont gratifiés d'une rémunération, constituent la charpente fondamentale de l'action humaine. Et c'est sur cette charpente qu'il est possible de retrouver le lien qui unit l'individu à son travail, à sa mission, à son « service ». C'est en reconnaissant la nature et la forme de ce « service » en nous mêmes qu'il devient possible de changer notre situation et de quitter la position à la fois dépendante et inactive de "demandeur d'emploi" pour occuper à nouveau la position de membre actif de la communauté humaine. Encore faut-il que cette participation à la construction collective soit désirable... Mais nous verrons ce point un peu plus tard.

La perte ou l'absence d'emploi transportent avec elles un cortège volumineux de problèmes et de réflexes négatifs pour soi comme pour les autres. Dans une société réglée sur la productivité et le profit, l'absence d'activité professionnelle et lucrative est généralement ressentie comme un manquement à la citoyenneté et comme une entorse à la vie en communauté. Si vous ne travaillez pas, vous ne contribuez pas. Vous n'avez pas de valeur. La sanction est sèche mais très réelle et d'une actualité brûlante. Combien de slogans politiques commencent par « se remettre au travail » comme si l'on avait choisit de sortir du travail, de subir un licenciement ou d'être remercier à la fin d'une longue période d'essai. L'absence de travail sonne alors comme une absence d'identité sociale.

Le travail règle la vie quotidienne et s'inscrit dans un cadre rigide difficile à contourner ou à tordre. On travaille le jour, la semaine, aux 35 heures ou peut-être plus, de 9 heures le matin à 18 heures le soir. On travaille ailleurs, hors du cadre familial, au bout de la ligne du métro, du tram, du bus, du train... Rapidement, il est étonnant de voir combien nous avons été capables de créer un mythologie du travail et de nous couper d'une profusion d'alternatives. Cette mythologie détruit la créativité pourtant nécessaire à la production de nouveaux espaces de travail, de nouvelles activités, de nouveaux marchés... comme si le travail ne pouvait se concevoir que dans le cadre conventionnel de l'emploi de bureau ou d'atelier dans une entreprise anonyme et monochrome. Cette vision contribue à nous enfermer dans une image irréelle du travail, tout comme le statut de demandeur d'emploi nous confine dans un rôle tout autant irréel.

La France, qui connaît l'un des plus forts taux de chômage de l'Europe occidentale est aussi l'un des pays les moins prolifiques en matière de création d'activités et de nouveaux horizons professionnels. Peu d'études se consacrent à examiner cette pauvreté créative, ce manque notoire d'imagination laborieuse qui se double d'une législation des plus pesantes sur le travail, son coût et la création d'entreprises. Et je dis cela sans me faire le chantre du néo-libéralisme à l'américaine ou à l'anglaise. Essayez seulement d'ouvrir un compte en banque professionnel en France et vous verrez comment cela peut rapidement s'avérer aussi compliqué que de trouver un appartement en location ou de monter un dossier de formation...

Donc l'absence de travail conduit à une perte d'identité et une exclusion de la fiction sociale communautaire. Mais cela ne s'arrête pas là. L'impact de l'absence de travail et de la rémunération qu'il entraîne se conçoit comme une violence que l'on inflige non seulement au demandeur d'emploi mais aussi à ses proches, à sa famille (s'il ou elle en a une). Le « gagne-pain » reste l'une des motivations première de l'emploi dans notre société en pleine mutation. Il devient alors difficile de rester ouvert à la nouveauté et au changement qui président à la recherche d'un emploi. Les nécessités de la vie quotidienne prennent assez rapidement le dessus et noient les démarches dans une crise humaine permanente.

Pour un pratiquant, comme pour un non-pratiquant, l'absence de travail équivaut à terme à une dégradation considérable de son existence même. Le défi à relever est multiple, le temps est compté et les ressources disponibles en quantité rapidement limitées.

Le paradoxe est que la société ne tolère plus l'absence d'activité professionnelle, ni non plus une activité professionnelle trop peu ressemblante avec les représentations conventionnelles du travail. Mais que de l'autre côté, le travail que propose la société n'a rien de désirable au regard de nos aspirations humaines profondes. Où est l'idéal de construction ? Où trouver le principe de contribution à un grand projet ? Où retrouver cette sensation satisfaisante d'une mission accomplie ? Rien de tout cela ne fait partie de la philosophie actuelle de l'entreprise, ni du monde du travail. La compétition, les rivalités, l'agressivité commerciale et la technicité sont toutes mises au service de l'enrichissement d'un petit nombre au détriment de ceux-là même qui contribuent le plus à bâtir des fortunes et à créer des richesses.

Sans tomber dans le marxisme le plus réducteur, le monde du travail est une nouvelle forme de servage élaboré et sophistiqué qui laisse croire à la plus grande partie de la population que ses efforts redoublés sont la promesse d'une situation de confort paradisiaque telle qu'elle peut en être témoin devant le petit écran ou dans les magazines "people". L'idéal du labeur, l'esprit même du travail, est perverti au profit d'une vision productiviste et purement lucrative de la force de travail. Dès lors c'est la foire d'empoigne. 500 lettres de motivation pleuvent sur la moindre annonce d'emploi dans la seule première journée de parution. Chacun rivalise de diplômes, de stages, de formations pour combler l'absence d'expérience réelle pour le poste. Car il y a toujours un décalage entre la demande et l'offre. Les employeurs veulent de la main d'œuvre qualifiée et disposant déjà d'une expérience. De l'autre côté la légion des demandeurs d'emplois ne sont que rarement formés et encore moins expérimentés dans ces secteurs toujours plus concurrentiels, en constante mutation.

Aujourd'hui, un professionnel qui reste plus de deux ans en dehors de sa branche a peu de chances de pouvoir recoller aux nouvelles réalités qui l'auront façonnée dans le même laps de temps. Il lui faut continuer de se former et de rester immergé dans son secteur d'activité par tous les moyens possibles s'il ne veut pas perdre pied. Et il est difficile de rester connecté lorsque l'on est au chômage, que l'allocation fond à l'allure de la banquise en été et que les ressources disponibles sont plutôt affectées à la famille et au logement plutôt qu'à l'entretien de la fonction professionnelle.

Le contexte est paradoxal et difficile pour les hommes de 30 à 50 ans, mais il devient tragique quand on examine avec soin le sort réservé au femmes, aux jeunes et à ceux que l'on appelle désormais les « seniors ». Les spécificités de ces catégories deviennent des handicaps dans la recherche d'emploi ou dans la simple embauche. La situation familiale, l'éventualité d'une grossesse, l'âge, l'inexpérience, le sexe sont devenus dans notre société post-industrielle d'authentiques tares, des stigmates qu'il vaut mieux gommer le plus possible afin de ne pas inquiéter les éventuels employeurs.

Comment triompher de cette épreuve et renouer avec le travail ?

Nous avons tous tendance à examiner les causes de la perte du travail ou les conditions qui empêchent le retour du travail. Jeter le blâme sur l'environnement, sur les conditions extérieures, sur les systèmes, la société ou simplement l'entreprise sont le recours le plus simple et souvent ce nous soulage immédiatement de l'angoisse qui accompagne l'absence de travail. Le nombre d'affaires menées aux Prud'hommes est en croissance si constante qu'il faut maintenant jusqu'à deux années entières de procédures pour aboutir à premier jugement qui est systématiquement renvoyé en appel par l'une des deux parties. Cette évolution en dit long sur l'état d'esprit qui règne autour de la perte de l'emploi et des ressorts qui nous poussent à travailler. Sortir de la plainte (procédurière ou simple expression de notre ressentiment) devient alors le premier de tous les combats. Le bouddhisme enseigne la responsabilité individuelle de la situation personnelle. Il ne s'agît pas de se charger de la culpabilité de la situation mais bel et bien de prendre en main cette dernière et de faire preuve d'initiative en permettant à sa propre situation de changer, d'évoluer, d'aller de l'avant. Loin de moi l'idée qu'il faille abandonner une situation d'abus lorsque l'on en connaît une. Si l'on subit un licenciement abusif ou des conditions de travail indignes, il est naturel et sain de se tourner vers des tribunaux compétents et de demander réparation. Telle est la base même du bien commun que nous partageons, le droit.
Mais il s'agit également de poursuivre sa route et de ne pas rester en attente d'un éventuel jugement favorable comme l'on attendrait une reconnaissance ou une justice qui nous sortiraient de l'ornière. Rien de tel ne peux surgir du jugement des hommes. Quel que soit le verdict, tous les intervenants d'une action ou d'un recours en justice sont irrémédiablement transformés par la conclusion de celui-ci et il ne règle en rien et de manière fondamentale la situation nouvelle à laquelle nous serons confrontés.

Dans sa lettre sur Les Huit vents, le moine Nichiren écrit : « Si l'on se présente devant les tribunaux, on peut aussi bien gagner son procès que le perdre, alors qu'il est tout aussi possible de régler les problèmes à l'amiable. J'ai réfléchi à la manière dont les gardiens de nuit pourraient gagner leur procès. J'ai ressenti une grande pitié pour eux ; ils étaient profondément atteints, car leurs terres et leurs maisons avaient été confisquées, simplement parce qu'ils étaient disciples de Nichiren. J'ai dit cependant que je prierais pour eux, à condition qu'ils ne portent pas plainte. Se rangeant à mon opinion, ils promirent de n'en rien faire. Lorsqu'ils entamèrent par la suite un procès, j'ai craint qu'aucun verdict ne soit rendu, tant sont nombreux les gens qui vont devant les tribunaux pour se retrouver pris dans d'interminables procédures. A ce jour, leur action n'a toujours pas eu de suite. » (Lettres et traités de Nichiren Daishonin, T1, 229, ACEP) Ainsi, il ne fait que décrire la réalité des tribunaux qu'ils soient du 13e siècle au Japon ou du 21e siècle en France. Le tribunal ne règle pas fondamentalement le sort des individus. Il ne fait que tenter de rétablir un équilibre entre deux points de vue divergents.

On ne peut imaginer régler l'insurmontable souffrance du chômage par des recours en justice. Pas plus que la solution ne peut venir des institutions pourtant créées dans le but d'endiguer la perte des emplois et pour protéger les travailleurs des aléas de l'industrie. En fait à l'aube du 21e siècle, des phénomènes planétaires de concentrations à la fois de capitaux et de moyens de production ont conduit les institutions du siècle précédent à devenir complètement défaillantes dans leur règlement du chômage, de la protection sociale ou de l'autonomie professionnelle des individus. A l'ère de la mobilité et de la circulation sur l'ensemble du globe, les protections locales n'ont plus aucun pouvoir sinon celui de creuser davantage d'inégalités au cœur même des populations qu'elles sont censées sécuriser.

Le chômage de masse est un phénomène propice à un règlement bouddhique de la situation. L'action est individuelle et collective à la fois. En effet, le bouddhisme enseigne la responsabilité personnelle, donc l'autonomie de l'action et de l'initiative. Lorsque des groupes entiers de gens s'activent dans ce même esprit de responsabilité alors ils sont capables d'obtenir des résultats tout à fait étonnants. Le propos apparaît utopique mais j'en veux pour preuve l'action des ouvriers de Buenos Aires. Et ce n'est là qu'un exemple parmi de nombreuses autres initiatives similaires partout dans le monde.

En 2000, après l'effondrement des banques d'Argentine, plus du tiers de la population de Buenos Aires s'est retrouvé au chômage sans aucune perspective de travail pour des années. Les grandes industries avaient fermé leurs portes. Les industriels avaient pris la fuite avec leurs capitaux et le pays était dans une situation difficile à imaginer. Les gens avaient perdus toutes leurs économies, ne pouvaient retirer de l'argent à la banque faute de liquidité, faute de banques... Pourtant, certains ne se sont pas laissés démonter.

Dans le centre de la capitale, un groupe de femmes a décidé de reprendre le travail dans un atelier de couture alors fermé. Elles se sont appropriées l'endroit, l'ont occupé, puis se sont remises à travailler et à fournir des vêtements à des boutiques du coin. Sans argent, sans aide et sans employeurs, elles se sont appuyées sur le tissu social local et ont remis sur pied une activité professionnelle. Responsables et autonomes, elles se sont organisées en coopérative de manière démocratique et ont démarré un mouvement qui a vu fleurir plus de 500 coopératives du même type dans la région. Et quand les industriels sont revenus pour réclamer leurs propriétés, toutes ces coopératives ont résisté.

Cette épopée humaine relatée dans le documentaire de Avi Lewis et Naomi Klein, The Take, fait une démonstration très claire de l'esprit de responsabilité et d'autonomie dont les individus peuvent faire preuve et cela en dehors de toute considération de statut, de classe, de naissance, de culture ou de religion. On y voit comment l'action individuelle de chacun, préalable obligatoire à la réussite, peut se fédérer dans un mouvement cohérent à visage humain.

Renouer avec le travail passe par une démarche personnelle, une introspection, un exercice spirituel. En opérant cet exercice, il nous faut surmonter les souffrances de la perte de l'identité, de l'exclusion de la communauté et déjouer la tentation de la plainte afin de découvrir notre lien authentique et unique avec le travail. Ce travail n'est plus ressentit comme un simple marchandage commode, mais comme une raison d'être qui dépasse les intérêts de ceux qui nous emploient ou nous exploitent. Ce travail devient une seconde nature et illustre alors parfaitement l'analogie de Nichiren entre la pratique du Sûtra du Lotus et le service envers son seigneur.

En considérant le temps précieux que nous passons à travailler, il est crucial d'avoir une considération particulière pour le type, le lieu et la nature du travail, autant que pour les gens que nous serons amenés à y côtoyer. Nous ne donnons pas notre vie pour rien, alors nous devons avoir le plus grand soin de cette facette de notre vie quotidienne. Lorsqu'elle vient à manquer, nous avons la responsabilité personnelle de considérer le lien au travail à la lumière d'une représentation globale et universelle du travail. L'absence de travail n'est ni un châtiment ni une punition. Elle n'est pas la preuve de notre manquement ou de notre incompétence ou de notre incapacité.

L'absence du travail dans notre vie naît d'un déséquilibre entre soi et le monde en mouvement. Elle est le signal qu'il y a quelque chose à comprendre qui nous permettra non seulement de renouer le lien avec le travail et ses bienfaits multiples mais aussi à découvrir tout un aspect de notre propre personnalité qui serait resté dans l'ombre si le travail n'avait pas manqué. Car ce qui nous manque quand le travail fait défaut ce n'est pas le fruit de ce dernier. Ce qui nous manque véritablement c'est la graine qui donne ce fruit.

Ainsi le travail n'est pas un moyen, un expédient ou un artifice pour obtenir des bénéfices, des bienfaits ou un quelconque profit. Le travail est une des nombreuses modalités d'expressions de soi, de sa sensibilité, de sa créativité, de sa valeur propre en tant qu'être humain dans une communauté d'autres êtres humains. Ce billet n'a pas pour objectif de donner une recette à ces deux millions d'êtres humains qui n'ont pas à ce jour pu exprimer pleinement qui ils et elles sont. A travers les nombreuses pistes de réflexion qui le jalonne, j'espère qu'ils et elles commenceront à se dire qu'ils ne sont pas seuls mais des millions à désirer renouer avec le travail. Une telle force humaine conjuguée peut produire des effets prodigieux, pourvu qu'un grand nombre aient le même cœur. Et que dans ce même cœur résonne la réalité fondamentale de toutes les activités humaines que j'ose déclarer de manière lapidaire en quelques mots : le travail, c'est nous. Le travail, c'est moi...