3.12.09

| Se changer pour changer le monde |

Changer la société en commençant par se changer soi-même...

L'idée est séduisante mais purement Socratique. La liberté d'action ou de pensée ne suffisent pas, d'autant qu'elles ne sont que des vues de l'esprit, ou plutôt le fait d'interprétations personnelles et relatives. Ce qui manque dans la proposition de changement personnel, ou de révolution intérieure, c'est le modèle.

Qu'il soit ancien, adapté ou nouveau, c'est le modèle que cherchent tous ceux et celles qui désirent le changement. Il ne s'agit pas simplement de changer (le mécanisme) mais aussi de passer d'une forme à une autre, de changer vers quelque chose d'autre (la transformation). Et si l'exemplarité personnelle est un facteur incitatif du changement, il ne peut être force de loi par le fait de sa singularité. Plus simplement, ce qui est bon pour moi ne l'est pas nécessairement pour les autres.

Si le changement est à l'origine de la fabrication de l'espace et de la dynamique politiques, c'est sur les modèles et sur les contre-modèles que tout le monde se casse les dents : les politiciens, les philosophes, les sociologues, les intellectuels de toutes sortes, les idéologues et les oracles post-modernes. On ne produit que des fictions ou des interprétations limitées par les conceptions individuelles.

Jusque ici, on s'est servit de l'utopie et/ou de l'histoire pour fabriquer l'avenir souvent de manière mutuellement exclusive, l'un contre l'autre. Cette oscillation constante entre l'idéalisme (fiction du futur) et le matérialisme (interprétation du passé) n'a débouché que sur des révolutions factices, où une élite a remplacé une autre élite dans un schéma pyramidal qui confine au Moyen-Âge féodal. Et le plus souvent, ces déplacements de puissance se sont fait dans le sang et les larmes.

Car changer soi-même pour changer la société, c'est aussi changer pour changer les autres. Pourquoi vouloir changer les autres ? Pourquoi vouloir façonner la société à notre idée tout à fait personnelle ? N'y a-t-il pas là un antagonisme irréductible qui ne peut déboucher que sur la confrontation et la violence ? Ne faut-il pas repenser la notion même de changement à l'aune de cette nouvelle ère des flux et de la liquéfaction des relations humaines.

Les frontières s'effacent, les identités se dissolvent,
les cadres sont polymorphes et les représentations sociales deviennent protéiformes. Le tout s'opère de manière conjuguée à l'échelle planétaire provoquant toutes sortes de réactions spontanées et imprévues. Dans un tel monde, le passé et le futur deviennent des notions floues, indiscernables, vagues, susceptibles d'être modifiés par nos perceptions et nos projets.

Le changement serait donc une constante, pas un projet.
Et le projet serait une activité à la fois dirigée et instable. Il serait à écrire au quotidien en l'enrichissant de tous les échanges et du renouvellement. Il serait le produit de l'individu tout autant que de son dialogue régulier avec les autres. Peut-être est-ce cela le modèle de société pour l'avenir : réécrire tous les jours son identité, son projet existentiel, son histoire personnelle. Et par là réussir, non à changer le monde, mais à accepter les transformations du monde plutôt que de tenter vainement de résister au courant des métamorphoses.

Une telle conception ne reposera plus seulement sur la production et la recherche de modèles, mais surtout sur l'usage et l'échange. Elle suppose une réelle prise de conscience des données présentes, sans trop s'attacher à des rêveries futures et hypothétiques et en résistant modérément au poids des souvenirs et de l'histoire. Elle nécessite donc la combinaison de deux vertus : l'honnêteté et la responsabilité. Et bien qu'elles soient souvent absentes de notre milieu quotidien, ces vertus ne sont ni abstraites, ni symboliques. L'honnêteté comme la responsabilité sont des attitudes fondées sur une perception personnelle et intime. N'est-ce pas là le début d'une révolution intérieure ?