20.2.09

|Une vie toxique|

Ou la difficulté de vivre dans un environnement hostile
La vie a commencé sur notre planète dans un environnement parfaitement insalubre et totalement agressif, au point que les premières bactéries ont dû modifier leurs structures génétiques afin de commencer à produire des produits chimiques capables de transformer les composants de leur environnement particulièrement toxique.
D'abord sous forme végétale, puis animale, les organismes complexes se sont eux aussi développés dans des milieux dans lesquels aucun de nous n'aurait pu survivre plus de dix minutes sans succomber à une affection spontanée fulgurante ou un choc allergique mortel.
Les aménagements provoqués par la relation entre l'environnement (variations de températures, échanges chimico-physiques, productions et transformations d'origine gazeuse ou minérale, mécanique des fluides et des solides, etc.) et les organismes complexes autonomes (bactéries, faune, flore) peuvent être apparentés à la fois à une extraordinaire mécanique combinatoire merveilleusement harmonieuse ou bien à une guerre totale, sans pitié et apocalyptique. Cela ne repose que sur une manière de percevoir l'existence et la représentation que l'on s'en fait.
Malgré cette paradoxale conflagration permanente à tout les niveaux, macro comme microscopiques, les individus continuent de soutenir l'idée farfelue qu'il y aurait un état naturel d'équilibre et de symbiose qui assurerait une hypothétique sécurité physique et mentale, une sorte de moment paradisiaque duquel découlerait à un état intérieur de calme et de perfection. Ce mythe, car il s'agit d'un mythe, se perpétuerait ad vitam (ou ad nauseam) dès lors que nous, les individus apparemment les plus évolués de cette planète, serions enfin en osmose avec l'environnement, adaptant notre comportement à l'infinie diversité d'événements qui surviennent, plutôt que de tenter de réduire et de contrôler notre espace de vie...
Ce mythe repose tout entier sur une perception de l'univers et de l'environnement chaotique, destructeur, inorganisé, auquel l'être humain ne fait qu'ajouter plus de destruction, de toxicité, de pollution et de chaos. Il part de l'idée que le monde est impur et que l'esprit éclairé (on ne spécifie pas ici par quelle lumière) saurait remettre tout cela dans l'ordre et la pureté (originelle ou potentielle) par une juste relation avec l'univers et l'environnement. Et donc ce mythe repose sur une idée (très humaine) d'un monde originel ou d'un univers potentiellement pure, calme, parfait, harmonieux...
Partant de ce mythe, la société moderne (ou post-moderne) s'invente des mouvements convulsifs de résistance aux changements et aux transformations qui naissent des innovations produites par cette même société moderne (ou post-moderne). On combat les OGM. On conspue l'industrie chimique. On jette l'anathème sur la malbouffe. On rejette l'électronique, le plastique, les cosmétiques, le téléphone sans fil, la radio, la télé, la bagnole... En bref toutes les saloperies que nous avons inventés et produites pendant les 300 dernières années.
Ce rejet (ou ces combats citoyens pour l'écologie et le développement durable) n'est pas un simple fonctionnement réactionnaire et conservateur, nostalgique d'un passé fiction où les souvenirs d'antan étaient infiniment plus vivables que les horreurs actuelles. Il n'est pas non plus le fruit d'une analyse puritaine d'un monde tombé dans la consommation et la débauche. Et il n'est pas non plus les prémices d'un mode de vie alternatif qui n'a jamais concerné qu'une frange asociale.
Le rejet et le militantisme contre toute forme d'innovation est le résultat du télescopage avec le futur. Notre développement individuel et collectif a considérablement accéléré notre rythme de vie, la vitesse de développement de nos sociétés et raccourci les cycles de renouvellement des progrès technologiques, scientifiques, humains... Tout ça va trop vite et nous n'avons plus le temps d'imaginer une nouvelle façon de vivre avec toutes ces nouveautés. Il y en a trop, trop vite, trop diverses et trop nombreuses pour que notre capacité d'intégration soit capable de les traiter toutes dans le laps de temps qui les séparent de la prochaine vague d'innovations.
Alors nous fermons le guichet. Nous refusons. Nous sommes dans le déni, total ou partiel. Nous endiguons le ras de marée en produisant des barrières mentales, puis des discours fermés puis des attitudes intégristes et exclusives. Les moins résistants finissent chez le psy. Les plus résistants rejoignent les rangs des fantassins dans de vaines croisades contre le progrès trop grand et trop rapide. Car militant veut aussi dire soldat (lat. miles, le soldat).

Mais pourquoi choisir la posture du combat ?
La première raison est la pollution intellectuelle et spirituelle dans laquelle nous vivons. Tout le monde veut entrer dans notre tête et la bourrer d'une quantité astronomique d'informations publicitaires (pour la plupart), politiciennes, propagandistes, institutionnelles, quand ils ne s'agit pas de conditionnements pures et simples. Les marchands, les politiques, les leaders d'opinions, les spécialistes de ceci ou de cela, les chantres de l'économie, les défenseurs de causes perdues ou gagnées et tous les autres forment une légion qui marche sur notre cerveau, oblitère toute forme de pensée indépendante et créative, efface notre imaginaire pour le remplacer par une purée marron et informe dans laquelle ils planteront leurs idées médiocres, leurs avis misérables, leurs mots mal choisis et impropres, les discours creux et dépourvus de sens...
Nous avons la tête polluée par les autres et par nos propres stupidités. Cela encombre et occulte notre capacité créative et de ce fait nous voilà incapables de faire face à la plus modeste des nouveautés.
La seconde raison est que nous avons l'illusion que notre identité, nos goûts, nos idées, nos avis, nos représentations sont vraies et immuables. Et tout ce qui vient perturber ou contredire notre personnalité, notre ego, notre identité est ennemi. Il faut le rejeter, le confiner dans une cellule sous terre, l'oublier, l'occulter, l'effacer, le faire taire, le tuer, le détruire... Cette identité est une illusion, de la fumée, une fiction plus ou moins bien ficelée que nous croyons être nous, mais qui a été construite de bric et de broc au travers de l'éducation reçue, des influences diverses lors de l'enfance, de l'instruction scolaire, des contacts heureux ou malheureux avec la société, les sociétés, le monde... Et comme c'est la seule chose que nous connaissons, nous pensons (à juste titre peut-être) que c'est la réalité...
Pauvres de nous. Incapables de savoir qui nous sommes réellement, pollués par notre itinéraire, assaillis par le cyclone permanent et en évolution exponentielle de l'information bidon, nous sommes incapables d'examiner calmement un événement, une nouveauté, d'en tirer des leçons et de l'améliorer comme il se doit. Et finalement, nous prenons le parti de devenir les soldats d'un mouvement de réaction contre le progrès, contre ce que nous avons nous mêmes appelé de nos vœux, secrètement ou bien ouvertement désiré, de ce que notre avidité insatiable de nouveautés et de sensations invoque sans cesse.
Oui, nous vivons dans un monde toxique. Dès la naissance, comme le dit le philosophe, nous souffrons d'une maladie incurable qui nous mène au tombeau : la vie. Cette dernière est nocive aussi bien que prodigieuse mais les yeux fermés par l'aveuglement, les oreilles bouchées par la stupidité et la bouche cousue par l'étroitesse d'esprit, nous manquons de voir les merveilles et nous passons trop de temps à gesticuler sans cesse contre ceci, contre cela, pour finir épuisés, déçus, abattus, désespérés, pour ne pas dire déprimés... Car l'individu ne peut combattre le flux du temps, pas plus seul que collectivement.

Alors que faire ?
Un slogan de 68 (comme c'est loin...) scandait : « Soyez raisonnables, demander l'impossible ! » Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas demander l'impossible ? Le beurre et l'argent du beurre... Notre problème ce ne sont pas les téléphones portables, c'est le peu de soins et le prix démesuré qui est demandé pour une prestation nocive et de mauvaise qualité. Et tout cela pour le plus gros paquet de fric dans la poche d'obscurs et anonymes actionnaires qui peut-être sont vos gentils voisins. Notre problème ce n'est pas la pollution chimique c'est l'irresponsabilité de chaque employé d'AREVA, de MONSTANTO, de SUEZ, de TOTAL ou de VEOLIA qui accepte contre un salaire de misère d'aller faire une parcelle du sale boulot de ces « grands » groupes et de nous polluer l'organisme au chlore, aux phosphates, au paraben, aux phtalates, à la dioxine, au souffre, au mercure... On peut accuser les gros PDG et les banques, mais qui leur donne l'argent, le temps, la sueur, les efforts, la vie... Nous ! Toujours nous ! Et encore nous !
Nous sommes les artisans des catastrophes qui nous tombent sur le coin de la gueule. Nous passons notre temps à nous plaindre de tout, à pleurer sur ce qui nous arrive, à combattre contre des moulins à vent, à faire semblant de faire de la politique en mettant le bulletin dans l'urne... Et finalement nous laissons d'autres décider de tout à notre place. Nous leur donnons tout : notre argent, notre temps, notre imagination, nos sentiments, et plus précieux encore notre vie. Et pour couronner le tout, nous le faisons de notre plein gré, sans sourciller, sans rechigner, comme de bons moutons bien éduqués, bien dressés. Nous n'avons donc aucune excuse... Et pour tout dire, nous n'avons pas de projet pour le substituer au projet d'esclavage mondial qui s'organise bien tranquillement en ce moment même.
Nous ne sommes pas bêtes. Nous sommes des bêtes... La question n'est donc pas quand arrêterons-nous de consommer des téléphones portables. La question est : quand arrêterons-nous de bêler en troupeaux ? La vie est toxique. C'est vrai. Mais de tous les éléments toxiques que nous pouvons rencontrer dans l'univers, devinez qui est le plus toxique pour l'instant ?

Nous...

8.2.09

| La stratégie du sûtra du Lotus |

La stratégie du Sûtra du Lotus, qu'est-ce que c'est ?
Il y a bien des façons de répondre à cette question, tant du point de vue des enseignements de Nichiren que du point de vue de la tradition mahayaniste du Sûtra du Lotus.
La stratégie du Sûtra du Lotus, à la lecture de la lettre intitulée ainsi, pourrait être entendue comme : « d'abord tu fais daimoku, et ensuite tu vois venir. » Et c'est souvent ce qu'on entend.
Sous prétexte que les divinités bouddhiques nous protègent en tant que pratiquants du Sûtra du Lotus, notre pratique suffira à faire apparaître des solutions... voire les meilleures solutions. Cette interprétation est certes rassurante mais inexacte du point de vue du bouddhisme et plus particulièrement des enseignements de Nichiren Daishonin.
Dans la pratique quotidienne du bouddhisme, le point de départ de toute chose est l'individu. C'est l'individu qui perçoit son environnement et c'est lui qui dote ce dernier des attributs de l'éveil ou de la souffrance. Tout dépend de sa perception. Mais la seule perception juste (première des huit nobles voies) ne suffit pas pour réaliser sa mission dans cette vie et parvenir à établir une existence solide.
C'est ce que Nichiren évoque dans cette lettre quand il parle de l'épuisement de la bonne fortune. Il signifie ainsi qu'une force motrice est nécessaire pour alimenter une perception juste. Cette force motrice, ou force vitale, découle du principe inhérent à toute vie, à l'entité réelle de tous les phénomènes, à la Loi merveilleuse exposée dans le Sûtra du Lotus, en bref, tout découle de Myoho Rengué Kyo.
La foi devient alors le pivot déterminant dans la démarche de tout individu. Quelle que soit sa capacité de perception de la situation, sa force propre, ses moyens et ses ressources matérielles, l'individu épuisera toute sa bonne fortune face aux différentes situations qu'il traversera au cours de sa vie. Sans une foi solide, c'est-à-dire une activité spirituelle réelle et profonde, l'individu n'aura aucune possibilité de régénérer, de reconstituer sa bonne fortune lorsqu'elle sera épuisée.
A la lumière de cet enseignement, Nichiren encourage son disciple Shijo Kingo à utiliser la stratégie du Sûtra du Lotus avant toute autre. Il s'agit donc de poursuivre une pratique spirituelle fondée sur les principes livrés dans le Sûtra du Lotus. Nichiren rassemble cette pratique spirituelle dans la récitation de Daimoku et dans l'établissement du Gohonzon comme objet de culte.
Il invite également Shijo Kingo à considérer le guet-apens qui lui a été tendu et duquel il s'est tiré indemne comme le signe que sa bonne fortune n'est pas épuisée et que l'action protectrice des divinités est efficace. Il conclut en déclarant sans concession que la lâcheté est autant l'absence de foi que la complaisance dans la plainte et les récriminations contre l'environnement et les coups du sort.
La stratégie du Sûtra du Lotus repose sur la pratique régulière afin d'alimenter sa propre force vitale et revitaliser sa propre bonne fortune. Cette pratique soutient l'action concrète de l'individu en fonction de sa mission personnelle. Il ne s'agit donc pas d'une posture intellectuelle d'attente ou de dépendance vis-à-vis des divinité bouddhiques.
Dans cette démarche, il n'y a plus de confusion entre les stratégies personnelles nécessaires pour mener à bien sa mission en cette vie et la stratégie du Sûtra du Lotus nécessaire pour maintenir un état de vie élevé et une existence solide. La confusion, s'il y a, ne repose que sur une mauvaise appréciation de la situation, d'une posture d'attente (et de victime) et surtout d'un manque de foi dans la résolution des difficultés et de leur pouvoir moteur dans notre développement.
En clair, pas de place pour la plainte, ni pour la providence. Le bouddhisme est une philosophie de l'action et une éthique de la responsabilité personnelle dans la construction de sa propre destinée.