24.6.09

| Facebook, le parc d'attractions de la vie des gens |

J'ai longtemps résisté à Facebook, comme j'avais longtemps résisté à MySpace, à Friendfeed et à bien d'autres réseaux dits « sociaux ». J'ai pourtant une grosse activité de blogueur depuis plusieurs années et je passe beaucoup de temps sur le web à lire, à écouter, à voir, à discuter... Mes résistances à FB et consorts (ceux qui ont un intérêt commun dans une même affaire) sont toujours les mêmes : le projet n'a rien de social malgré la dénomination américaine qui ne signifie pas tout à fait la même chose.

Facebook n'échappe pas à la règle et se trouve à mi-chemin entre la secte moderne et le parc d'attractions à l'américaine.

Facebook est une secte parce qu'il faut être inscrit pour y pénétrer et y évoluer. Pas moyen de voir ou de lire sans inscription (ou devrions-nous dire sans abonnement). Et celle-ci est la garantie permettant à l'entreprise Facebook de gagner des millions sans en reverser un centime à la masse des contributeurs. Ça aussi c'est le principe de la secte : tu entres, tu payes et tout ce que tu as en contrepartie c'est... rien. Car ce que je peux faire sur Facebook, je peux aussi bien le faire ailleurs et sans rien payer ni demander une inscription quelconque.

La notion de parc d'attraction est secondaire au principe de secte. Facebook est un spectacle permanent. On y passe son temps à diffuser des informations que l'on pense pertinentes, à coller des photos, des vidéos, des articles, en majorité empruntés à d'autres qui eux-mêmes les avaient déjà pris ailleurs. Et le spectacle est vivant, en temps réel. On peut se retrouver à écrire une réaction ou un commentaire et en même temps d'autres réactions et commentaires viennent s'ajouter. On est dans l'univers de Facebook comme un touriste à Disneyland ou aux studios Universal. On ne sait où donner de la tête tant les divertissements rivalisent entre eux et touchent tous les champs de l'action sociale. Et c'est en cela que l'appellation « sociale » entre peut se justifier. Mais ça s'arrête là.

Mais en fin de compte, à quoi peut bien servir Facebook ?

D'un côté, c'est le parc d'attraction géant et protéiforme où chacun trouve son compte de passivité ou d'activité. En somme, c'est un excellent moyen de contrôle, une sorte de nouvelle congrégation sans le merdier religieux. Et en plus, c'est une initiative du secteur privé donc l'institution est sauve, lavée de tout soupçon de volonté normative. Les américains ont inventé mieux que l'Eglise pour former et façonner les esprit : ça s'appelle le marketing.
De l'autre, Facebook est un Speaker's Corner mondial où ceux et celles qui ont un message peuvent le faire passer à autant d'inscrits que possible. La stratégie est simple : se faire un maximum de relations (l'objectif étant d'en toucher environ un bon millier) et ensuite de répandre son message avec plus ou moins d'adresse. le message peut être politique, social, philosophique, religieux ou, le plus souvent, commercial. Il est là en marge, dans la publicité, mais aussi déguisé sous forme de petites applications rigolotes, de tests et de quizz sur votre personnalité, sur vos goûts, sur vos intentions...

Facebook est l'un des projets les plus intéressants de ces dernières années au même titre que des choses plus avant-gardiste comme Second Life ou plus terre-à-terre comme eBay. Il fait la démonstration que l'Internet et les internautes sont prêts pour participer à des projets d'expérimentation et d'influence en temps réel sans plus aucune réticence ou contestation. Ne reproduisant pas le modèle mass-market, l'Internet marchand a été un échec relatif. Mais l'Internet Marketing est un succès complet. En jouant sur les leviers émotionnels et sur l'envie irrépressible de socialisation, les réseaux limités (professionnels ou « sociaux ») se sont imposés sans aucun problème. Et, bien que l'on produise une littérature abondante sur les problèmes d'identités numériques, de fichage ou de vie privée, peu de gens perçoivent que les réseaux sociaux ne sont que le cheval de Troie de la monétisation des données personnelles.

Facebook démontre que les débats sont dépassés. Peu importent votre nom, votre date de naissance ou encore votre situation amoureuse. Ce qui importe c'est votre réaction ou non-réaction à des stimuli dans le grand laboratoire Facebook. Il a suffit d'appliquer la règle « du pain et des jeux » qui, transposée à Facebook, devient : des relations sociales et du divertissement. Avec une recette simple, des dizaines de millions de gens sont devenus les rats de laboratoire dont rêvaient les grandes compagnie de stratégie et de consulting.

Alors, dans ces conditions, pourquoi continuer à pratiquer Facebook et à l'alimenter ?

La question est légitime et la réponse évidente. La particularité de Facebook et des autres « réseaux sociaux » est qu'à tout moment un rat de laboratoire peut se transformer en expérimentateur. En prenant conscience des mécanismes en place, il est possible de créer un espace de réflexion et de discussion qui fausse l'intention première des concepteurs. Pour cela, il suffit de ne pas adhérer à la règle du jeu. Produire sa propre littérature, ses propres références, ne jouer à aucun des jeux proposés, n'adhérer qu'à peu de groupes et de causes tout en créant des groupes et des causes absurdes, ne cliquer sur aucune publicité, n'accepter aucune application apparemment utile, inventer des informations, raconter des histoires, foutre la pagaille... Voilà qui promet d'être plus intéressant que la satisfaction que procure la puissance de l'affichage, de l'exposition, que la jouissance de ce que Andy Warhol appelait « le quart d'heure de célébrité ».

Facebook n'offre rien de plus qu'un simple blog avec, en plus, la possibilité d'inviter des amis à venir faire la claque devant votre mur. Il n'est ni plus simple ni plus maniable que des service de blogs offerts gratuitement par nombre de fournisseurs (overblog, blogger, wordpress, etc.). Alors d'où vient son succès ? Tout simplement parce que c'est plus simple d'aller voir les singes en cage au zoo du coin que d'aller les observer de loin et patiemment en Tanzanie ou au Kenya.