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17.7.09

| L'illusion est maintenant parfaite...|

Le ciel est béton, les nuages fumés. La pluie menace. Le tonnerre gronde encore après avoir rugit toute la nuit. L'atmosphère sait se déchaîner et personne ne peut prévoir ni quand, ni comment, ni où... En jetant un coup d'œil aux multiples bulletins météo du début de semaine, on envisageait un temps mitigé, de belles éclaircies, des matinées ensoleillées et des nuages l'après-midi ou inversement... En bref, les prévisions étaient fausses.
Pourtant, les gens continuent de consulter la météo à la télé, sur Internet, sur leurs iPhones, à la radio. Ils ne sauront rien du temps qu'il fera demain, puisque les spécialistes eux-mêmes n'en savent plus rien. Prévoir les conditions climatiques du lendemain est devenu un exercice proche de la prédiction astrologique.

D'ailleurs, l'astrologie et les techniques divinatoires n'ont jamais eu autant de succès. L'échec des églises et des cultes divers à réaliser le bonheur tant attendu et si souvent promis y est aussi pour quelque chose. Alors on en revient à de bonnes vieilles méthodes : les cartes, la position des corps célestes, les chiffres, la voyance... Les technologies de l'information donnent un coup de pouce considérable à ce retour en force. Elles garantissent l'ubiquité, l'instantanéité, l'anonymat... Des pouvoirs divins sans avoir à rendre quoi que ce soit au Tout-puissant.
Les prévisions deviennent prédictions. La marge d'erreur est tolérée. L'approximation est attendue. L'interprétation va de soi. Les résultats sont inégaux, mais pas plus que les prévisions météorologiques ou les marges bénéficiaires des sociétés cotées en bourse. 30% de bonheur en plus, 30% de rien du tout, 30% d'emmerdements et 10% de surprises, bonnes ou mauvaises. C'est selon le point de vue dans lequel on se place.

L'économie mondiale, qui a avalé toutes les économies locales, n'est pas exempte de cette nécessité divinatoire. Prévoir l'inflation, le chômage, la croissance, les profits et les pertes, autant d'objectifs qui semblent simples à l'énoncé, mais qui impliquent une telle somme de facteurs qu'il est impossible de les anticiper. Alors on fait appel à des analystes, à des prospectivistes, à des spécialistes de l'ingéniérie financiaire, à des oracles modernes qui, sous couvert de termes techniques et d'un vocabulaire ésotérique, font des paris sur l'avenir pour augmenter le plus possible la rentabilité des actifs qui leurs sont confiés.
Les prédictions deviennent des projections et des scénarios. La marge d'erreur est appelée risque. Les risques sont réduits par des garanties. Les garanties sont données par des experts et des compagnies d'assurances, qui n'ont aucun moyen de garantir quoi que ce soit sinon de payer la note en cas d'échec. L'édifice est creux, fabriqué d'accords tacites et de promesses couchées sur le papier que l'on appellent contrats.
En rapprochant le « temps qu'il fait » du « temps qui passe » et celui qui passe du « temps qui est de l'argent », je me rend compte de l'absence de substance de toutes ces attentes et de toutes ces stratégies. Mais si elles sont si vides, pourquoi ont-elles une prise si forte sur notre quotidien, sur nos vies individuelles et collectives, sur notre histoire ? Car en dépit de l'abstraction de ces concepts, de leur évidente inefficacité et de leur vacuité avérée, on continue à croire que la météo nous dira s'il fera beau demain, que la divination nous dira si nous allons être heureux et que l'économie fera notre fortune...

La croyance est la clé de cette absurdité. La croyance est le moteur. La croyance est la substance de cette illusion parfaite. Je dis parfaite parce qu'elle atteint maintenant sa limite. La perfection est limite, cristallisation, image figée dans le temps et dans l'espace. Et l'illusion est enfin parfaite. Un seul pas en arrière et le recul est suffisant pour se rendre à l'évidence que la météo, l'oracle et le banquier nous mentent en même temps qu'ils se mentent à eux-mêmes, rendant l'illusion acceptable aux yeux de tous.
Le dicton qui veut qu' « au royaume des aveugles, le borgne est roi », est complètement faux. Au royaume des aveugles, le borgne est dans la merde. A défaut d'être pointé du doigt, il sera pourchassé, condamné, transformé en bouc émissaire de l'aveuglement général, et éventuellement mis à mort. Les groupes produisent de la conformité. Et tout ce qui est concurrent est d'abord suspect, puis détesté et enfin combattu jusqu'à l'extermination pure et simple. C'est ce que l'on peut observer chez les colonies d'insectes, au sein des troupeaux de mammifères, chez les pingouins ou encore dans un vulgaire poulailler. Prenez une poule, peignez lui la crête en bleu et elle devient immédiatement l'ennemi, l'autre, le borgne.

Nous vivons à une époque de grande croyance, mais nous vénérons de faux dieux, des idoles perverses, des vices que nous déguisons en vertus. Ces croyances immorales et contre-productives nous ont conduit à saccager notre environnement naturel, à rejeter les moyens d'émancipation intérieure, à corrompre nos relations inter-personnelles et à développer une soif inextinguible pour toutes les formes de morts réelles ou abstraites. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les perspectives soient sombres, funestes et parfois même fatalistes. Mais ce ne sont là que les limites de l'illusion parfaite que nous avons tous contribué à créer et dans laquelle nous nous complaisons allègrement. Mon maître en bouddhisme, Nichiren, le moine japonais du 13e siècle, écrit dans une lettre : « l'insecte qui se nourrit de l'ortie en vient à oublier combien sa feuille est amère, de même que l'homme qui s'attarde dans les latrines en vient à oublier combien l'odeur est fétide. »
Nous avons oublié comment vivre pour nous laisser prendre aux fantasmes et aux rêveries. Il n'est pas trop tard pour les dissiper, et nous éveiller à la réalité du monde, à sa beauté, à l'aspect précieux et même sacré de la vie sous toutes ses formes, y compris humaine. Ce n'est au final qu'une question de croyance(s). Nous pouvons continuer de vénérer le veau d'or et attendre que de providentiels Moïse, Jésus, Mahomet ou Bouddha viennent nous sauver de nos délires toxiques. Nous pouvons même croire que le salut sera dans l'au-delà...
Ou alors nous pouvons prendre au mot ces prophètes et vivre au quotidien les principes simples, peu nombreux et profondément humanistes qu'ils ont laissé pour la postérité. Pour cela, il n'est nul besoin d'églises, de devins, de banquiers ou de présentateurs de la météo qui ne prêchent que pour leurs chapelles, leurs institutions et les illusions parfaites qui forgent le spectacle permanent mais sans vie qu'ils nous donnent à regarder à chaque instant de notre existence.

27.3.09

|L'action fait la force|

Ou comment sortir d'un univers de discours

L'une des injonctions paradoxales les plus courantes dans le discours des pratiquants du bouddhisme Soka est de dire que l'union fait la force, car un individu ne peut rien tout seul. Et dans le même temps, de promettre que la récitation de Nam-Myoho-Rengué-Kyo permet de tout transformer et de faire bouger l'univers tout entier.

Dans ce genre d'affirmation, il vaut mieux être clair.

Soit l'éveil d'un seul est stérile et inutile, soit l'éveil d'un seul au principe de nam myoho rengué kyo lui permet d'avoir une réelle influence sur le cours de l'Histoire. C'est l'un ou l'autre...

Si l'on s'en tient à l'enseignement de Nichiren, l'éveil d'un seul a une réelle influence sur les autres et donc sur l'Histoire. C'est ce qu'il signifie sans équivoque dans une lettre, La Tortue borgne et le bois de santal flottant (LT 4, 35) : « Moi seul, Nichiren, ai commencé à réciter cela au Japon. Pendant plus de vingt ans, depuis l'été de la cinquième année de l'ère Kencho (1253), moi seul ai récité Namu Myoho Renge Kyo jour et nuit, matin et soir, sans discontinuer. Par contre, ceux qui récitent le Nembutsu sont au nombre de dix millions. Nichiren ne bénéficie du soutien de personne, alors que les partisans du Nembutsu sont influents et de noble origine. Mais, lorsque le lion rugit, les autres animaux se taisent, et la seule ombre d'un tigre terrifie les chiens. Lorsque le soleil se lève dans le ciel, à l'est, la lumière de dix mille étoiles disparaît sans laisser de traces. »

Puis il en remet une couche dans une autre lettre, L'Entité réelle de tous les phénomènes (Shoho Jisso Sho, LT 1, 97) : « Au commencement, moi seul, Nichiren, ait récité Namu Myoho Renge Kyo. Puis deux, trois, cent personnes ont suivi, le récitant et le transmettant aux autres. C'est également ce qui se passera dans l'avenir. »

Cette dernière déclaration, faite au 13e siècle s'est vérifiée. Aujourd'hui un peu plus de dix millions de personnes dans le monde récitent nam-myoho-rengué-kyo. Il est probable, par une simple intuition statistique, que le nombre des personnes connaissant ou ayant récité (pour essayer) nam-myoho-rengué-kyo soit trois ou quatre fois plus grand. Entre temps, la population de la planète a augmenté de manière géométrique jusqu'à un seuil vertigineux jamais imaginé.

Toutefois, si la SGI, le mouvement majoritaire dans les divers groupes qui se réclament de Nichiren, est la conséquence de cette déclaration, et par là même la preuve qu'un seul individu éveillé peut changer le cours de l'histoire, il reste à se demander ce que vont faire les millions de pratiquants actuels. En effet, Nichiren était un moine japonais, seul et perdu dans une île lointaine. Par son action et sa détermination visionnaire, il a une influence réelle sur des millions de gens à travers bientôt huit siècles d'histoire. Mais nous, qui vivons mieux, qui bénéficions de moyens de communication modernes, de richesses inégalées, d'une conscience réelle de tout se qui se déroule dans le monde, que faisons-nous ?

Dans les trente dernières années, je n'ai personnellement noté aucune amélioration, ni progrès, ni même action concrète et déterminante pour la paix des peuples ou émancipation des individus. Au fil de mes lectures et de mes entretiens avec mes pairs, je n'en ai pas appris plus. Certes, je peux raconter des aventures et des moments privilégiés au cours desquels des personnalités hors du commun se sont illustrées sur des chemins nouveaux, libres et pacifiques. Mais force est de constater que l'histoire des hommes reste très imperméable aux idéaux de bonheur, de justice, d'égalité, de fraternité, de liberté de pensée ou d'action et ce malgré des discours et des déclarations tantôt utopistes, tantôt idéalistes.

Cela signifie-t-il que les enseignements de Nichiren soient faux ? Que les interprétations que l'on en fait sont inexactes, erronées...?

Ou cela ne signifie-t-il pas plutôt que nous n'avons pas encore dépasser le stade de l'enfance et que nous nous contentons de ramasser les fruits et les bienfaits cultivés par d'autres, sans jamais prendre le temps de semer et de cultiver nous-mêmes de nouveaux bienfaits pour les générations futures.

Nous bénéficions directement ou indirectement des actions d'individus seuls mais déterminés à changer leur monde et celui qu'ils et elles envisageaient pour le lendemain. Et nous qui habitons dans ce lendemain, nous oublions d'agir à notre tour, de changer notre monde et celui de demain. Nous parlons beaucoup, nous déclarons nos intentions, nous professons nos espoirs et notre credo, arguant qu'il est suprême ou souverain, mais concrètement notre action est faible. Que nous soyons pratiquants chevronnés ou simples sympathisants, nous ne produisons que peu de valeurs réelles, peu d'actions d'envergure et surtout nous continuons de faire trop de compromis avec une réalité moche, inique et parfaitement intolérable du point de vue humain.

Il y a 800 ans, le moine Nichiren a fait son boulot. Il n'avait pour lui que son kimono, sa carcasse, sa mémoire prodigieuse, sa culture bouddhique et son esprit de recherche. 800 ans plus tard, il permet à des millions de bénéficier d'un moyen unique et simple de transformer une existence de merde en une vie riche et nouvelle. Considérant que la SGI fêtera bientôt son 80e anniversaire, nous devrions voir des signes distincts et clairs d'améliorations individuelles et collectives à commencer par le Japon (où résident les 4/5e des pratiquants du monde).

Quelque chose cloche, n'est-ce pas ? Au Japon, la récession est galopante. La jeunesse détruite par la violence juvénile et le plus fort taux de suicide avant 18 ans (au coude à coude avec la Suède, autre modèle social). Les retraités divorcent en masse, incapables de vivre ensemble après trente ans d'une existence décalée. La politique est un panier de crabes dans lequel même le Komeito (parti « propre ») n'est pas épargné... Inutile pour moi d'évoquer la « crise » actuelle pour le reste du monde.

Alors soit les enseignements de Nichiren ne sont pas valides, soit nous ne faisons pas notre travail. Nichiren ne pouvait pas changer la politique et la culture de son pays à lui tout seul. Mais nous ne sommes plus seuls. Nous sommes légions. Donc je pense très sincèrement que nous ne faisons pas notre part du marché. Nichiren nous donne le moyen de faire la révolution nécessaire à l'intérieur. En échange, nous faisons pacifiquement et sans fléchir la révolution à l'extérieur.

Pour ma part, je ressens que les gens, d'une manière générale, sont peu informés de ce qui se passe dans le monde, de ce qu'est l'esprit Soka, de ce qu'est l'éveil et l'enseignement de Nichiren, de ce que cela signifie dans des domaines comme l'économie, la politique, les relations sociales, les structures de la famille, de la parenté, du couple, dans les relations internationales, dans la diplomatie ou encore dans les articulations et les évolutions de nos sociétés qu'elles soient occidentales et industrialisées ou autres... Alors je prend sur mon temps pour publier des articles de fond, des notes, des traductions de textes inaccessibles en français... J'agrège des liens, des idées, des initiatives, des volontés et des bénévoles autour de projets permettant à tout un chacun de connaître le monde dans lequel il et elle vivent, la vision bouddhique que l'on peut en avoir et les alternatives qui existent face à un néolibéralisme destructeur et déclinant. Et comme les gens lisent de moins en moins, je passe à l'étape audiovisuelle (qui est mon métier) pour produire encore plus de documents de référence et pour essayer du mieux possible de créer un espace public construit autour d'actions concrètes, d'initiatives parfois locales, parfois internationales, de réalisations diverses qui prouvent qu'un monde nouveau peut émerger pourvu qu'on y croit et que l'on se donne les moyens de le mettre en œuvre.

Le processus de l'éveil n'est pas, à mon sens, un examen de conscience nombriliste. Il n'est pas non plus un exercice spirituel permettant de s'adapter à une réalité extérieure désagréable. L'éveil est une démarche permanente, quotidienne et concrète. Il se traduit dans le réel par des actes, des productions, des gestes et des constructions. Alors, la prière d'accord. Le partage, pas de problème. La communion, pourquoi pas. L'idéal, ce ne sera pas du luxe... Mais avant toute autre chose, passons à l'âge adulte et soyons à la hauteur de nos prétentions. Et si nos prétentions sont le monde, alors il va falloir s'y mettre dès maintenant...

10.10.08

| L'obscurité monumentale |

Ce matin, le plongeon !
Malgré toutes les annonces politiciennes et les messages rassurants des chantres du libéralisme mondialisé, les effets des expérimentations capitalistes américaines débarrassées de régulations publiques ont percuté les marchés internationaux. Toutes les places de marché ont accusé des chutes de 5 à 10%. La panique s'est emparée des investisseurs, de cette légion d'actionnaires anonymes et nantis qui veulent du rendement financier à deux chiffres. Ils n'ont certainement pas envie de perdre leurs précieux placements à la faveur des stratégies désastreuses des banques et plus généralement de la finance mondiale.
L'argent virtuel s'échappe des places boursières où les risques démesurés généraient des profits financiers sans mesure. Il retourne dans les centaines de paradis fiscaux insulaires du Pacifique ou des Caraïbes. Les rats de la finance quittent le navire de la mondialisation capitaliste en rangs serrés.
Les conséquences pour nous tous sont encore à venir. Moins d'argent et moins de financement auront pour effet de ralentir davantage les économies technocratiques et de moins en moins industrialisées de l'Occident. La baisse de l'activité aura pour sa part l'effet direct de faire grimper les chiffres du chômage et de mettre à la rue davantage de ceux qui ne connaissaient que la précarité. L'effet indirect sera d'installer les économies fortement financiarisées dans une position d'attente et de prolonger durablement les états de crise et les périodes d'austérité et de rigueur. Les opportunités de protectionnisme, de réformes extrêmes, de fermeture des marchés, de renforcement des lois restrictives, de marginalisation des minorités, des pauvres et des laissés pour compte... Personne n'y croit pourtant le monde de la banque est à expliquer aux agents aux guichets comment faire preuve de pédagogie et se montrer rassurants afin d'éviter les retraits massifs qui sonneraient la chute de nombreux organismes bancaires. Le spectre de la crise de 1929 et les visions de cauchemar de l'Allemagne de Weimar ne sont pas loin...
Comment a-t-on pu en arriver là sans rien voir venir ? Comment avons-nous tous été aussi aveugles ?
Le bouddhisme enseigne que notre monde est celui des illusions : un monde dans lequel les individus s'enlisent de leur plein gré dans les fantasmes et les mirages fabriqués par les désirs. Le plongeon spectaculaire de ce matin en est la plus parfaite expression. Cependant tout le monde continue, avec une inquiétude indicible et difficile à cerner, à vaquer à ses occupations, à poursuivre le même train d'existence sans vraiment prendre le temps de comprendre ce qui est en train d'arriver. Après tout la catastrophe est virtuelle. Elle est invisible. Et tout le monde répète qu'elle ne touche que les Etats-unis.
De cette catastrophe mondiale, quelles sont les images que nous avons ? Quelles informations nous parviennent ? Que savons-nous réellement ?
Rien. Absolument rien.
Nous ne savons rien et nous entretenons cet état de fait. L'ignorance est notre alliée pour survivre au cataclysme. Nous ne savons rien et nous donnons toute notre confiance à des tiers pour nous tirer de là. Ces tiers, des élus, des financiers, des forces de police, des fonctionnaires du Trésor, des journalistes et des économistes, sont là pour nous protéger, pour veiller à ce que tout continue d'aller plus ou moins bien. Nous n'avons pas le temps de nous préoccuper de tout cela, de cette crise, de ces problèmes de crédit, de ces erreurs commises par d'autres, ailleurs, loin...
Ce que nous voulons, c'est de continuer à vivre comme avant. Nous voulons continuer à percevoir des salaires, à consommer toute sortes de produits, à entretenir ce cycle satisfaisant et confortable de la vie moderne occidentale. Ce cycle ne doit pas être interrompu car nos besoins sont insatiables : carburant, nourriture, vêtements, maisons, frigos, voitures, téléphones portables, ordinateurs personnels, appareils photo numériques, ipods, téléchargements, spectacles, divertissements, séries télés, etc. Toujours plus et toujours plus vite !
Et si des conditions extérieures entravent notre manière de vivre, notre « bonheur », notre confort tranquille, et bien tous les moyens seront bons pour combattre ces conditions hostiles et malvenues. Pour maintenir notre façon de vivre occidentale, nous sommes prêts à employer la force et la violence. A l'intérieur, notre puissance publique et ces agents de police sont de mieux en mieux armés pour « neutraliser » sans tuer, pour assurer que l'ordre et la loi soient respectés. A l'extérieur, nos forces militaires, au service de la « communauté internationale », peuvent intervenir pour détruire ceux qui menacent le nouvel ordre mondial, pour éliminer la menace terroriste, pour renforcer et s'assurer que les intérêts occidentaux ne courent aucun risque !
L'obscurité fondamentale a pris des dimensions monumentales. Et que faisons nous ? Nous utilisons les Trois poisons de l'ignorance, du désir insatiable et de la violence. Alors plutôt que d'enrayer l'obscurité, nous la fabriquons en masse, de manière industrielle, selon des procédés performants et optimisés. Voilà comment nous n'avons pas vu venir la cascade de catastrophes qui vient nous percuter en ce vendredi 10 octobre 2008. Nous avons fabriqué ce présent et nous continuons de fabriquer un avenir encore plus sombre.
Nichiren, moine bouddhiste du 13e siècle, a fait la démonstration dans un traité du Moyen-Âge que l'essentiel des catastrophes qui touchent les sociétés humaines ont pour origine l'attitude des mêmes citoyens de ces mêmes sociétés. Les problèmes sociaux et les cataclysmes, auxquels été confrontés les japonais du 13e siècle, n'étaient en rien différents des crises auxquelles nous sommes soumis. Malgré le caractère vernaculaire des termes, Trois calamités et Sept désastres, ce principe, exposé dans l'Abhidharma (Traité de la Scolastique) et dans le sûtra des Rois vertueux, est d'une singulière actualité.
Pour le dire simplement, le principe des calamités et des désastres postule que l'absence de perception et d'action lucides dans le réel engendre toutes sortes de catastrophes naturelles et humaines qui ont pour source l'aveuglement individuel et collectif. Ainsi les désastres se présentent sous la forme de : perturbations atmosphériques, anomalies célestes, incendies de grande échelle, déluges spectaculaires et répétées, tempêtes, sécheresses et conflits de toutes sortes. Les désastres sont essentiellement conjoncturels et résultent d'une mauvaise relation avec l'environnement naturel ou humain. Les calamités, elles, sont au nombre de trois : la destruction par les armes, les épidémies infectieuses et les pénuries entraînant des famines. Elles sont le résultat direct de l'action humaine.
Ce principe n'a rien d'un ensemble de prédictions millénaristes ou apocalyptiques. Il est facile à notre époque de reconnaître chacun de ces désastres ou calamités quelque part sur notre planète et généralement en suffisamment de lieux pour que le doute ne subsiste pas. Partout, les conflits, la pollution, les pandémies, le réchauffement climatique, les pénuries d'eau potable et maintenant de nourriture de base, les tsunamis, typhons, cyclones, tempêtes tropicales et autres déchaînements illustrent parfaitement des facettes d'un principe énoncé il y a deux milles ans.
Dans son traité, le Rissho Ankoku Ron (traité pour la pacification du pays par l'établissement de la Loi correcte), Nichiren attribue l'origine des calamités et des désastres à la prolifération des Trois poisons comme seules valeurs de l'action humaine. Sa démonstration explique assez simplement comment le Désir insatiable (ou Avidité) entraîne pénuries et famines, comment la Violence (ou Colère) entraîne les conflits et la destruction par les armes, et enfin comment l'Ignorance conduit à la diffusion de maladies et à l'extension d'épidémies, souvent mortelles pour les plus démunis.
Le constat est accablant. Il ne s'agit pas d'une crise, qui laisse entendre une situation provisoire ou passagère... Il s'agit de l'extension des Trois poisons à l'ensemble de notre planète et de tous les êtres qui la peuplent. Voilà ce qu'est réellement la mondialisation tant vantée par tous. Un monde divisé et ravagé par la terreur, l'aveuglement et la folie pour une durée aussi longue que l'environnement naturel le supportera, c'est-à-dire jusqu'à l'extinction de notre espèce... Sortir de ce cycle toxique et hostile s'avère une tâche insurmontable pour l'individu isolé. Elle ne peut s'accomplir qu'en retrouvant le chemin de la solidarité humaine et les valeurs qui la constituent.
Alors comment mener une action lucide et conserver une perception toute aussi lucide ?
En cessant purement et simplement d'alimenter notre existence personnelle des Trois poisons dans un premier temps. Puis en cessant d'alimenter notre existence collective de ces mêmes trois poisons, en cessant d'infliger aux autres ce que nous ne voulons pas qu'il nous infligent. Par quoi remplacer les Trois poisons ? Par les Trois vertus envers tous les êtres vivants : celle du Souverain, celle du Maître et celle du Parent.
— Le Souverain est celui qui protège les êtres vivants.
— Le Maître est celui qui transmet les connaissances et l'histoire du monde aux êtres vivants.
— Le Parent est celui qui aime les êtres vivants.
Protéger, transmettre et aimer, voilà les Trois vertus qui respectivement s'opposent à (et doivent remplacer) détruire, ignorer et accaparer.
Ces valeurs ne sont pas spécifiquement bouddhiques. Elles sont connues de toutes les confessions dans le monde entier. Ce sont des valeurs universelles. Et si personne ne peut les manifester pleinement du jour au lendemain, nous pouvons tous commencer dès aujourd'hui apprendre à les manifester dans notre vie quotidienne. Les résultats sont assez faciles à percevoir et ils ne tardent généralement pas. S'ils sont au début modestes, l'exercice constant de ces Trois vertus permet au bout de semaines, de mois, d'années, de décennies de voir apparaître un monde différent, régit par d'autres principes que ceux qui actuellement nous emprisonnent aujourd'hui dans la prison des illusions et de l'obscurité fondamentale.
Tout ce que nous avons à faire est de persister dans cet effort permanent... En aurons-nous le courage ? L'avenir nous le dira.

24.9.08

| La conspiration mondiale |

Sur les conseils d'une amie, j'ai regardé des vidéos (Daily Motion, Youtube) sur le Codex alimentarius et je reste perplexe. Non sur le sujet, car il y a bien un codex alimentarius, un réseau de commissions privées et non publiques, souvent financées par de l'argent public sans contrepartie de décision pour le public, qui décident, au niveau international en dehors des juridictions locales et surtout des réalités du terrain, de l'ensemble des directives et réglementations dans le domaine de l'alimentation.
Ce n'est pas, loin sans faut, le seul domaine dans lequel, en y regardant de plus près, nous n'avons aucune sorte de pouvoir d'intervention direct et représentatif. La gestion de l'eau, de l'énergie, des mouvements de populations, des formalités douanières, etc., la liste est longue.
Ce qui me dérange dans la présentation faite par le Dr. Rima Laibow, psychiatre de son état, c'est le ton et le fond relativement paranoïaque de son discours. Je dirais à sa décharge que la vidéo est coupée ça et là, que le sous-titrage est approximatif et souvent faux, ne reflétant en rien les nuances de langage du Dr. Laibow, ce qui accentue ce côté paranoïaque de conspiration mondiale voulue par ceux qui ont mis en ligne cette vidéo. J'ai cherché la vidéo in extenso mais pas moyen de la trouver pour l'instant.
Le problème que je rencontre souvent avec ce genre de cri d'alarme c'est l'incontournable complot mondial. Ce n'est pas qu'il n'y a pas une réelle connivence et conspiration de nombreuses organisations transnationales et de corporations industrielles puissantes. C'est qu'elles ne sont pas encore organisées dans le faisceau (fasciste) que décrivent grossièrement de nombreux whistleblowers (les gens comme le Dr. Laibow qui attirent l'attention publique sur un problème social grave). Quand je dis pas encore, cela signifie qu'au terme de luttes invisibles du grand public, mais perceptibles pour ceux qui se donnent la peine de s'informer et surtout de réfléchir prosaïquement sur les événements, il se peut qu'un camp l'emporte et nous réduise à un fascisme d'un genre nouveau dominé par la technologie sécuritaire et les manipulations biogénétiques. Or ce n'est pas tout à fait comme cela que l'affaire nous est présentée. Et de la même manière que l'on nous abreuve d'une conspiration mondiale avec des recoupements nombreux et des similitudes stratégiques dans le camp des méchants conspirateurs, il y a une unité de discours de la part de la plupart des détracteurs du fameux complot mondial.
Ce que dit le Dr. Laibow est documenté mais la façon d'articuler l'argumentation est biaisé. Il manque des liens de causalité et bien souvent les motifs ne sont pas les bons. Je n'entre pas dans la polémique ici mais il y a un principe de base qu'il faut garder à l'esprit quand on examine les discours et les actions : « à qui profite le crime...? ». Donc à qui profite ce discours alarmiste, terrifiant et radical ? La manipulation de la communication joue dans tous les sens. Pendant que l'on nous rebat les oreilles des dix troufions abattus dans le cadre de leurs missions et des risques qu'elle comportait, dans le champ de la politique intérieure, l'assemblée et le gouvernement font passer des lois qui réduisent les libertés individuelles. Donc pendant que le Dr. Laibow nous consterne avec les horreurs connues et archi-connues de IG Farben et du Codex alimentarius, que se passe-t-il en coulisses ?
Les images ont le pouvoir de frapper l'imaginaire sans passer par le filtre intellectuel de la réflexion. C'est un avantage et un défaut.
Il reste qu'il est important d'éveiller les consciences sur la valeur individuelle et sur le pouvoir de chacun à faire changer les choses. Plus encore, il s'agit d'éveiller les individus à leur capacité de mobilisation et de collaboration responsable afin de transformer la société dans laquelle ils vivent. De par le monde, un nombre grandissant de gens réussissent cet exploit. Je vous recommande à ce titre 80 hommes pour changer le monde, de Darnil et Le Roux, en Livre de poche, qui sont aller à la rencontre de personnalités certes discrètes mais efficaces qui entreprennent de transformer la société. Vraiment instructif. Je vous recommande aussi The Take, de Avi Lewis et Naomi Klein, film documentaire sur les reprises d'usines et d'ateliers à Buenos Aires en Argentine après l'effroyable crise financière qui a mis à genoux le pays et détruit la vie des gens. Dans le même ordre d'idée, le travail de Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto qui vaut d'être vu en vidéo (Arte Vidéo) et lu en livre (La découverte, 2008).
Il y en a encore bien d'autres qui ont pour trait commun de s'attacher à susciter courage et responsabilité personnelle plutôt que terreur et hostilité primaire comme le font beaucoup de documentaires, d'émissions, de livres qui tirent la sonnette d'alarme et n'ont comme discours que la négation et le rejet.
Nous vivons dans un monde assez moche, fragile, vandalisé par les masses incultes et stratégiquement dévoré par des industries nocives. Tout cela est vrai. Mais avoir raison n'a jamais créé de valeurs et la dernière des solutions et des postures à adopter est celle du conflit, car nous savons très bien où cela va nous mener... et surtout qui cela va enrichir davantage.
La lutte (et non la guerre) en cours est celle des esclaves des Trois poisons (Stupidité, Egoïsme, Orgueil) contre toutes les autres factions périphériques qui tardent ou peinent à prendre l'initiative. Il n'y a pas de face à face binaire, bons contre méchants. C'est plutôt Illusion contre réalité. Que l'on soit bouddhiste, chrétien, écologiste, activiste, altermondialiste, libre penseur, anarchiste ou que sais-je encore... Il est temps de s'éveiller au fait que nous vivons dans le monde des illusions. Ces illusions naissent dans notre boite crânienne sans laquelle nous ne pouvons survivre sous forme humaine. Il s'agit donc de réformer notre façon de penser, de nous programmer autrement, d'effectuer une authentique révolution intérieure afin de purifier, de raffiner, de parfaire notre capacité de perception du monde qui nous entoure avec son incroyable foisonnement et son délicat agencement en contante transformation.
Cet exercice quotidien repose sur la volonté de quitter une certaine forme de confort matériel pour parvenir à un équilibre intérieur qui fait fi des circonstances et considère tout obstacle comme une occasion de développement personnel et collectif. Les machinations grossières et technocratiques d'une petite minorité déshumanisée sont certes dangereuses mais elles ne sont pas de taille à résister à un mouvement de la multitude même partiel qui lui retire sa confiance et ses ressources. Que seulement 10% des clients d'une banque nationale se précipitent pour retirer leurs argents et leurs économies et la banque s'effondre en quelques heures. C'est ce qui est arrivé à Lehmann Bros., troisième banque américaine la semaine dernière. Comble de l'anecdote, c'est avec des deniers publics que l'état américain est allé sauver la banque... Dans quel monde vivons-nous ? Combien de temps les gens vont-ils encore se comporter comme des moutons dociles et inoffensifs ? Dans les conditions actuelles, les rebondissements de l'Histoire peuvent se dérouler en l'espace de quelques jours, parfois même de quelques heures...
C'est maintenant que nous vivons des moments historiques et palpitants. Il ne faut pas en perdre une miette et contribuer aussi fort que possible dans la mesure de ses propres moyens. Moi j'écris et je diffuse mon message. Et vous que faites-vous ?

2.5.08

| Où se trouve l'état de bouddha ? |

Le bouddhisme décrit la réalité comme un état de transformations constantes et ininterrompues. Devenir est en soi la nature même des choses. Tout est en devenir, donc tout est. Ainsi, on ne devient pas bouddha, on l'est, puis on cesse de l'être, puis on l'est à nouveau.

L'état d'éveil (ou état de Bouddha) est une condition de vie, une phase dans le temps et dans l'espace durant laquelle on est éveillé et en prise au réel de façon complète, alors que les autres conditions de vie, aussi agréables ou stimulantes qu'elles peuvent être, ne sont que partielles, incomplètes au regard de l'immensité de l'existence universelle.

La condition de vie du bouddha, l'état d'éveil, pourrait être ressentie comme impraticable du point de vue strictement personnel de l'individu lambda. Comment concevoir quelque chose de l'ordre de l'universel sans se sentir instantanément diminué, voire anéanti par l'immensité de la réalité fondamentale ? Tant que l'on persiste à concevoir l'éveil d'un point de vue strictement individuel sur la seule base de ses conceptions limitées et de son expérience par définition partielle, il est pratiquement impossible de faire l'expérience de l'état de bouddha.

Les dix conditions de vie
Le bouddhisme structure les conditions de l'existence en dix états distincts, perméables entre eux, interactifs et surtout suffisamment fluides pour permettre la translation entre deux états. Cette translation s'effectue à la vitesse de la pensée. Ainsi, nous passons d'un état à l'autre au gré des événements intérieurs et des circonstances extérieures qui surviennent à chaque instant de notre vie. Ce rythme est si rapide que la plupart d'entre nous ne nous rendons pas compte de la succession des états de vie. Il est si rapide qu'il nous est difficile d'avoir conscience de la présence et de l'apparition des autres états tant nous sommes saturé par un état de vie que nous pouvons croire dominant. "C'est plus fort que moi" diront certains. "Je ne peux pas m'empêcher" diront d'autres. Tout le monde perçoit l'influence des différentes conditions de l'existence mais il est rare que les gens se penchent sur la nature de ces différents mondes.

Les dix états de vie font partie d'un modèle assez complexe de représentation de l'existence dans lequel l'origine, l'action et les conséquences de chaque manifestation s'inscrivent dans une mécanique qui régit les rapports entre les innombrables éléments qui composent l'univers. Les dix états sont mutuellement inclusifs et pendant que l'un d'entre eux est manifeste, les neuf autres continuent d'exister à l'état latent, comme en sommeil, avant de surgir au moment prochain. Avant de voir comment les conditions de vie s'interpénètrent, attardons-nous sur ces dernières telles qu'elles sont définies par le bouddhisme.

Les dix états sont divisés grossièrement en trois catégories : les états dit «inférieurs», source de souffrances et de frustrations aussi innombrables que variées, les états dit «supérieurs» dans lesquels nos désirs sont comblés apportant une satisfaction durable mais limitée dans le temps comme dans l'espace, et enfin les états que je qualifierai de «suprêmes» dans lesquels les désirs s'estompent devant des impératifs altruistes et immanents qui apaisent les pulsions et canalisent les besoins dans un rapport de totalité entre l'individu et le cosmos. Ces derniers états sont les plus rares et nécessitent de s'éveiller à la nature fondamentale tant de l'individu que de l'environnement phénoménal qui forme l'espace vital de tous les individus.

L'Enfer, la Faim, la Bestialité et la Haine
Les quatre états inférieurs sont l'Enfer, la Faim, la Bestialité et la Haine. Cette terminologie, inhabituelle par rapport au vocabulaire classique, traduit plus clairement l'expérience vécue dans ces conditions de vie inférieures.
L'Enfer est évidemment l'expérience de la souffrance et du désespoir dans laquelle plus aucune liberté d'action n'est possible. Cette expérience est souvent caractérisée par des pulsions irrépressibles de détruire aussi bien l'environnement que soi-même.

La Faim se traduit par un appétit insatiable pour tout ce qui peut être consommé : nourriture, boisson, argent, pouvoir, sexualité, etc. Cet appétit est sans limites, ne supporte aucune contrainte et ignore l'extinction.

La Bestialité est dominée par les instincts au sens propre du mot. La raison et le sens moral n'entrent pas en ligne de compte dans la capacité de jugement de nos actions. L'anticipation à moyen et long terme est purement ignorée et nous agissons en fonction de nos seules nécessités animales de prédation, de fuite, de survie et de reproduction... La Bestialité se caractérise par des relations entre individus régies par la loi du plus fort et la survie du plus apte.

La Haine se distingue des précédents états par l'émergence de l'ego. Mais ce dernier est entièrement égoïste, replié sur la satisfaction exclusive et personnelle, pervertie par une sensation aiguë de la menace que constituent les autres individus. L'ego est à lui seul la mesure de toute expérience plaçant tous le reste au second plan ou à un niveau inférieur. La reconnaissance de valeurs supérieures à soi est impossible et méprisée. La Haine ne connaît que l'oppression comme mode de relation et la domination comme seule façon de vivre. Les quatre états de vie qualifiés d'inférieurs sont des conditions d'existence prisonnières de schémas imposés par les circonstances, qu'elles soient culturelles ou biologiques. L'individu ne parvient à se soustraire à l'une qu'en tombant systématiquement dans l'autre. Les textes bouddhiques font référence à ces conditions de vie sous le terme de Quatre mauvaises voies, ou Quatre voies négatives.

La Tranquillité, le Ravissement, l'Apprentissage et l'Accomplissement
Les états de vie «supérieurs» se caractérisent tous par une tentative de mise en équilibre entre l'ego (la conscience de soi) et les autres composantes de l'existence, c'est-à-dire les autres individualités et l'environnement. Bien qu'étant des expériences plutôt positives de l'existence, ces conditions de vie sont contraintes à la fois par des limitations physiques (biologie, génétique, climat, écosystème) et des limitations abstraites (culture, langage, relations inter-individuelle, histoire, psychologie). Ces conditions de vie sont la Tranquillité, le Ravissement, l'Apprentissage et l'Accomplissement. Une fois de plus la terminologie employée échappe aux classifications conventionnelles pour traduire la nature de l'expérience existentielle.
La Tranquillité est une expérience du point d'équilibre dans lequel l'ego n'est plus submergé par les quatre états de vie «inférieurs» mais trouve un moyen temporaire de les neutraliser. L'équilibre établi est précaire et menace toujours de basculer à nouveau dans les Quatre mauvaises voies, cependant l'individu expérimente le répit, et par extension une forme de tranquillité momentanée. Cette condition de vie est par nature extrêmement exposée aux influences extérieures.
Le Ravissement est un moment de satisfaction pleine. L'intensité de la joie ressentie est suffisamment forte pour ne pas être gagné par l'influence négative des états de vie inférieurs. La satisfaction ainsi obtenue est éphémère et dépend d'un facteur extérieur. Elle créé l'illusion de s'exclure complètement des expériences douloureuses propres aux Quatre mauvaises voies et procure une sensation de stabilité en opposition à la Tranquillité toujours menacée par le déséquilibre. Si le facteur extérieur s'efface ou disparaît, l'individu expérimente une plongée dans l'un des cinq états de vie précédents. La force du plongeon dépend entièrement de l'intensité du bonheur qui l'a précédé.

Ces deux conditions de vie, bien que marquant une distance avec la souffrance brutale des Quatre mauvaises voies, ne sont pas moins des expériences de souffrance d'une nature plus élaborée mais tout aussi douloureuse pour l'esprit comme pour le corps. Avec les quatre états «inférieurs», ces conditions de vie forment les six voies vulgaires dans lesquelles l'expérience de l'existence est purement passive, impermanente et initiées, pour tout ou partie, par les circonstances extérieures. Elles sont vulgaires sens propre du terme en ce qu'elles forment l'essentiel de l'existence de la plupart des êtres humains ordinaires.
Les états de vie suivants diffèrent dans ce qu'ils naissent des efforts délibérés des individus à vivre une expérience formatrice en cherchant une certaine forme d'authenticité et de vérité de l'être. Ce sont des états actifs qui ont leurs limites mais où la décision de l'individu l'emporte sur les circonstances extérieures.

L'Apprentissage est l'expérience de la recherche de la vérité au travers des enseignements ou des expériences des autres. Cette condition de vie fait appel à la mémoire individuelle et collective et place l'individu au cœur d'une démarche d'accumulation, d'analyse et de synthèse du savoir. Cet état de vie fait appel aux fonctions cognitives de l'individu. L'Accomplissement, de son côté, est une expérience intérieure dont l'objet est également la recherche de la vérité mais où le moyen passe par la perception intuitive et déductive de la réalité intérieure comme extérieure. Il s'agit d'une démarche proche de l'éveil dans sa définition classique mais plutôt que de s'éveiller à la réalité fondamentale de l'univers, cette recherche s'attache à élucider la nature fondamentale de l'individu.

Ces deux états de vie, l'Apprentissage et l'Accomplissement sont appelés les Deux véhicules. Ils représentent la recherche de la vérité qui découle de l'éveil à l'impermanence des phénomènes. En faisant l'expérience de ces conditions de vie, les individus gagnent une certaine indépendance vis-à-vis des circonstances extérieures et se libèrent partiellement des contingences de la vie dans les six voies vulgaires. La discipline requise pour maintenir ces états de vie est importante et conduit parfois à la suffisance et à l'auto-satisfaction qui sont autant de freins pour un développement réel de l'être. Pendant longtemps, les Deux véhicules étaient les vecteurs principaux pour la recherche de l'illumination et la réalisation de l'éveil parfait, c'est-à-dire de la boddhéité.

La Dévotion et l'Eveil
La tradition du Grand véhicule du bouddhisme, aussi appelée Mahayana, a ouvert un troisième front dans cette recherche inlassable de la vérité fondamentale de la vie. Il est représenté par une expérience de recherche de la vérité par le désir de permettre à tous les êtres de réaliser l'éveil parfait. Il est le premier des états de vie «suprêmes» dans le sens où son expérience est en soi une forme très aboutie d'illumination dont la conclusion naturelle est l'éveil du dixième état de vie, la boddhéité.

Les deux états de vie «suprêmes» sont la Dévotion, représenté par la figure emblématique du Bodhisattva (littéralement celui qui se consacre à l'éveil) et l'Eveil, représenté par la figure, presque légendaire, du Bouddha (littéralement, celui qui s'est éveillé à la nature fondamentale de la vie universelle).

La Dévotion est manifestée par le désir irrépressible de permettre à tous les être de réaliser l'éveil à la nature fondamentale de la vie universelle. En des termes plus classiques, le Bodhisattva recherche à partager le bienfait de la Loi merveilleuse de l'existence avec tous ceux qu'il rencontre. Cette recherche représente la seul et unique mission de sa propre vie et sous-tend l'ensemble de toutes les autres activités spirituelles ou temporelles. La Dévotion s'articule entièrement sur la perception du Bodhisattva du lien qu'il entretient avec tous les éléments constitutifs de la vie et du réseau de liens qui unissent tous les êtres dans une existence commune et inter-dépendante. Une telle perception implique que l'éveil ne peut qu'être collectif et que personne ne saurait en être exclut sans mettre en péril l'éveil des autres. Cette expérience se traduit par la satisfaction qu'apporte les actes altruistes et désintéressés pour soulager la souffrance sous toutes ses formes.

A ce stade, l'enseignement du Sûtra du Lotus qualifie les neuf conditions de vie que nous venons de définir succinctement sous le terme de Neufs mondes. Cela permet de mettre en valeur le dernier des dix états, qui se distingue radicalement de tous les autres y compris le neuvième pourtant essentiellement porteur de valeurs éthiques.

L'Eveil, ou Boddhéité, est une expérience dynamique impossible à décrire ou à conceptualiser de manière complète. Cependant, il n'est pas faux de dire qu'il s'agit d'un état de liberté parfaite (et non totale) dans laquelle l'individu est capable de recevoir et d'employer tout phénomène qui l'affecte ou qui se présente à lui de quelque manière que ce soit. Mais cette qualité de liberté ne saurait définir à elle seule la condition de vie de l'éveil. La perception complète de la réalité fondamentale de la vie offre également la capacité de comprendre les mécanismes à l'œuvre et par extension de faire preuve d'une authentique sagesse et d'une bienveillance sans bornes. Dans cet état, l'individu peut définitivement résoudre toutes les problématiques sur lesquelles il butte dans les neuf autres états de vie. Dans les textes bouddhiques on trouve comme caractéristiques de l'expérience de la boddhéité : la véritable identité, une liberté parfaite vis-à-vis des liens du karma à travers l'éternité, une existence dépouillée de toute forme d'illusion et un bonheur sans limites.

Les dix conditions de vie ne suivent pas un schéma d'empilement linéaire. Il ne s'agit pas d'une graduation de l'expérience de la vie mais bel et bien d'une superposition de sphères de perception. Dans l'Enfer, tous les phénomènes sont perçus comme douleurs physiques et mentales, alors que dans la Haine, tout est question de menace, de contrôle et de terreur. Dans l'Apprentissage, tout ce qui survient est information et savoir, et dans la Dévotion, tout est bienveillance et opportunité de développement, d'épanouissement. Les dix états de vie sont comme un arc-en-ciel où les couleurs se mélangent sans pour autant se substituer les unes aux autres. Les neuf premiers états sont comme les nuances visibles et le dixième est la lumière elle-même qui produit toutes les teintes.

On comprend à travers cette catégorisation des différents degrés d'expérience de l'existence que l'individu tente, au travers de sa pratique du bouddhisme, de faire en sorte que son état de vie dominant soit davantage dans les états «supérieurs», voire «suprêmes», plutôt que dans les affres des conditions négatives. L'objectif final du bouddhisme étant l'éveil (la boddhéité), le pratiquant recherche, par dessus tout, à expérimenté l'état d'Eveil (ou état de Bouddha) afin de se libérer des chaînes qui l'entraînent dans les cercles vicieux et répétés de son karma. Cette démarche de libération intérieure vis-à-vis de la souffrance constitue l'essentiel de la pratique du bouddhisme.