29.7.09

| L'eau, déesse aux multiples aspects |

Subissant l'effet cumulé de nos pollutions et des dérèglements climatiques constatés depuis dix ans, l'eau est devenue à la fois un sujet de menaces et de pénuries. Elément de base de l'existence sous toutes ses formes, l'eau est la composante majoritaire de tous les organismes. Elle est autour de nous. Elle est en nous. D'aussi longtemps que l'on puisse s'en souvenir, l'eau a toujours été divinisée et s'est manifestée dans les croyances humaines sous des formes variées liées qui au fleuve, qui à la pluie, qui à la mer, qui aux sources... L'eau est d'un point de vue bouddhique, une des forces primordiales de l'univers : elle est une déesse.

Une déesse redoutable
L'eau est devenue une des principales menaces pour les êtres vivants et l'environnement. Les catastrophes naturelles liées à l'eau se multiplient aussi bien sous la forme de tsunamis ou de tempêtes tropicales, que sous la forme d'inondations spectaculaires que l'on avait pu recenser dans de nombreux pays asiatiques ou du sous-continent indien. La nouveauté est que les pays situés dans des zones plus tempérées commencent à ressentir les effets de ces mêmes catastrophes que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis.
Les dérèglements climatiques constatés par des institutions comme le GIEC (Groupe Inter-gouvernemental des Etudes sur le Climat) sont à la source de cette amplification des catastrophes naturelles dans lesquelles l'eau tient la plus grande part. Plus précisément, la fonte des glaces due à l'effet de serre se trouve à l'origine de la plupart de ces événements. Elle s'accompagne d'une série d'autres menaces importantes pour la faune, la flore et surtout les populations humaines de la planète.
La fonte des glaces tant aux pôles que dans les zones en altitudes a des effets secondaires sur le niveau des mers et sur le débit des cours d'eau, notamment des grands fleuves. Quand on mesure que la moitié de la population mondiale vit à moins de 60 kilomètres d'une côte, et que les fleuves constituent depuis toujours les principaux bassins d'implantation des populations, les enjeux de la montée du niveau des eaux deviennent particulièrement alarmants. Pour des pays comme le Bengladesh dont la quasi-totalité de sa surface est comprise dans le gigantesque delta où se rejoignent le Gange et le Bhramapoutre, les conséquences seront dramatiques.
La fonte des glaciers telle qu'elle est observée aujourd'hui ne pourrait être stoppée que par une soudaine glaciation. Ce scénario catastrophe, quoique improbable pour l'instant, est évoqué dans une adaptation cinématographique hollywoodienne, Le Jour d'après (Roland Emmerich, 2004). Le film décrit comment les dérèglements climatiques conduisent à l'arrêt des échanges thermiques du Gulf Stream et déclenche une glaciation aussi rapide que soudaine. Bien que de nombreux éléments de cette fiction soient discutables, le scénario a le mérite d'alerter de façon frappante sur les dangers inattendus et les menaces que l'eau porte en elle lorsqu'elle n'est pas respectée.

Une déesse indomptable
En attendant le scénario catastrophe dont nous ne connaissons pas la forme définitive, les glaces continuent de fondre et les océans montent. Cette fonte des glaces se caractérise tout particulièrement au pôle nord, dans la zone Arctique, où la banquise a diminuée de plusieurs millions de kilomètres carrés de surface et perdu la moitié de son épaisseur dans les seules deux ou trois dernières décennies. Les glaciers du Groenland fondent malgré les polémiques autour de la vitesse de cette fonte. En Antarctique, seule une partie des glaces semblent être touchées pour l'instant par le phénomène de réchauffement climatique constant.
Mais quelles que soient les hypothèses, la fonte des glaces contribuent indubitablement à la montée du niveau des eaux. Toutes les évaluations démontrent une augmentation du niveau de 20 à 60 cm au cours de ce siècle. Cette montée des eaux n'a rien de spectaculaire dite de cette manière, mais il faut s'éveiller à l'impact qu'un tel chiffre peut avoir sur l'ensemble de la planète et sur ses populations. D'autant que l'effet conjugué au fil des décennies et des siècles ne peut être stoppé. La montée des eaux continuera tout au long du 21e siècle et se poursuivra dans le suivant, et celui d'après.
La montée du niveau des mers aura des effets secondaires difficiles à mesurer du point de vue démographique et alimentaire comme notamment la salinisation des terres et de l'embouchure de nombreux cours d'eau. Souvent choisies pour la richesse des sols et des eaux, ces zones disparaîtront inexorablement au cours des deux siècles prochains, car l'effet de montée du niveau des eaux est durable et ne sera pas stoppé par un ralentissement même notable de l'effet de serre et donc du réchauffement du climat.
Enfin une dernière menace est l'assèchement des fleuves et des rivières. La plupart sont alimentés par les grands glaciers en altitude qui eux aussi subissent une fonte accélérée. Dans un premier temps, les grands cours d'eau seront sujets à un gonflement considérable provoquant des inondations graves et inattendues car située dans des régions autrefois considérées comme à l'abri de ce type de catastrophes. Puis quand il ne restera plus rien à faire fondre, les cours d'eau subiront des phénomènes d'épuisement. Cette diminution des ressources en eau auront non seulement des conséquences directes sur les populations, notamment celles vivant à proximité des zones désertiques et semi-désertiques, mais aussi sur la nature et la richesse des sols.
Ainsi l'eau, connue autrefois pour ses propriétés bénéfiques sur les cultures, deviendra dans bien des régions la source de stérilité des sols et de désertification. Elle sera aussi la cause d'une réduction des terres disponibles conduisant à des conflits territoriaux (comme on en voit déjà aujourd'hui) et des concentrations dangereuses de populations déplacées et démunies. Ces conditions deviendront le ferment d'épidémies qui bénéficieront de la promiscuité et de la pénurie pour frapper durement ces mêmes populations et toutes celles qui seront en contact avec elles.

Une déesse empoisonnée
L'eau est devenue une déesse empoisonnée par l'action conjuguée du réchauffement climatique, de mauvaises pratiques d'irrigation et des pollutions chimiques et industrielles. Face aux excès et aux pratiques irresponsables des sociétés humaines, l'eau dispose d'un pouvoir invisible et insidieux, l'empoisonnement. N'ayant aucune propriété de purification des agents et des matières que nous y rejetons, l'eau transporte et nous rend toutes nos souillures sous des formes souvent amplifiées.
Dans un cycle infernal que nous identifions parfaitement aujourd'hui, notre industrie, notre traitement des sols et surtout nos déchets ménagers transforment des rivières et des fleuves bouillonnants de vie en égouts à ciel ouvert. Nombre de nos rivières ne sont plus propres à la pèche des poissons et nécessitent un traitement particulier pour rendre l'eau potable. Plus généralement dans le monde, des fleuves tels que le Rio Bogotta, la Volga ou encore le Yang Tseu sont désormais dépourvus de toute forme de vie animale et d'une rare vie végétale souvent toxique pour les sociétés humaines qui vivent le long de ces cours d'eau.
Nos poisons tuent ce qui vit dans l'eau, qui vient nous empoisonner à son tour. Le cycle est parfaitement réglé. Nous polluons l'eau avec des agents extrêmement toxiques tels le pyralène, l'arsenic, le mercure, le soufre, les phosphates, les acides divers et bien d'autres encore. Ces agents s'accumulent dans les formes de vie qui résident dans l'eau. Ils en tuent une partie et endommagent les autres qui par le mécanisme de la chaîne alimentaire se retrouvent dans notre propre nourriture. Ainsi régulièrement, on interdit la consommation de l'eau ou des produits de telle ou telle rivière, réduisant les ressources de la population locale et de celles qui de manière lointaine en dépendaient. Mais cela ne s'arrête pas là.
L'eau ainsi empoisonnée devient impropre à l'irrigation et menace les cultures. Or, dans beaucoup de régions du monde et pas seulement dans les pays en développement, l'irrigation est la clé de voûte de la production alimentaire. De cette manière, le poison ne nous revient pas seulement sous sa forme animale mais aussi sous sa forme végétale. Et quand on sait combien on agresse déjà les sols et les cultures avec toutes sortes d'agents chimiques dangereux pour se prémunir contre d'autres sortes de ravages, les risques encourus se multiplient de manière géométrique.

Faire de la déesse notre alliée
L'une des propriétés des divinités bouddhiques, fonctions naturelles de notre environnement, est de devenir les alliées de ceux et de celles qui s'éveillent aux mécanismes fondamentaux de la vie. Mais pour réaliser cette alliance, c'est aux individus et aux formes de vie qui peuplent la planète de comprendre et de reconnaître la valeur et la fonction des forces qui sont à l'œuvre dans notre éco-système. Sans cette prise de conscience, les actions possibles, les attitudes et les responsabilités à prendre sont dénuées de sens et finissent par être abandonnées et occultées par l'ignorance et la négligence. Il existe de nombreuses façons de renouer avec la déesse de l'eau.

•Une première façon d'agir est de développer des moyens de désalement de l'eau de mer.
Aujourd'hui, ce procédé n'est pas du tout au point car très consommateur d'énergie. Cela pose des problèmes de ressources en terme de combustibles et en terme de pollution de l'air par production de davantage de carbone qui vient renforcer l'effet de serre. Mais la solution reste viable si l'on parvient à développer des nouvelles techniques de production d'eau douce à partir de l'eau de mer.
Ce procédé, en l'état, est une nécessité absolue pour contrer la désertification et l'assèchement des grands cours d'eau dans les zones arides. Et bien que de nombreux efforts sont encore nécessaires et attendus, c'est encore le procédé le moins coûteux pour permettre à des régions très étendues de ne pas souffrir de pénuries et donc de ne pas entrer dans des situations de conflits et de tensions avec ses voisins plus ou moins proches.

•Une deuxième façon est évidemment d'économiser l'eau. Cette économie de l'eau passe à la fois par une responsabilisation des individus et des entreprises dans leur utilisation et conservation de l'eau comme ressource.
Il est difficile de créer ex nihilo une véritable culture de la protection, de la préservation et de l'économie de l'eau auprès d'une population large. Mais un effort de communication par la répétition et une authentique pédagogie à tous les échelons de la scolarité et de l'âge adulte permettent, sur la période d'une seule génération, d'obtenir des résultats visibles. C'est ce que démontrent les populations de beaucoup de régions du monde et pas seulement situées dans la sphère occidentale.
Pour ce qui est des entreprises, les collectivités disposent des outils législatifs pour créer des mesures incitatives d'une part et des réglementations solides d'une autre part pour en finir avec les abus et les excès de certaines industries qui ne protègent ni l'environnement ni les ressources naturelles. Il est clair que c'est d'abord par la pédagogie auprès de la population et l'acceptation d'une culture de la préservation qu'il sera naturellement plus simple et plus logique de conduire les entreprises dans le chemin vertueux du respect des ressources et de l'environnement.
Mais les collectivités doivent également montrer l'exemple en conduisant une politique d'excellence en ce qui concerne tant le réseau d'alimentation que les étapes du retraitement de l'eau. Il est toujours étonnant de voir combien les fuites d'eau dues à un réseau public médiocre, voire défaillant, sont la source d'une perte de la ressource et combien celles-ci sont négligées et même ignorées par les particuliers comme par les collectivités. Il est encore plus étonnant de voir des régions pauvres en eau où l'entretien des réseaux d'approvisionnement et des puits ne font pas partie des priorités. L'économie de l'eau n'est pas l'affaire des «autres », ni celle d'une poignée de compagnies concessionnaires plus préoccupées par les dividendes de leurs actionnaires que par une gestion saine qui ne pèse pas de manière écrasante sur les usagers. Elle est d'abord la responsabilité de chacun.

• Une troisième façon de procéder est de recycler davantage les déchets que nous produisons et qui polluent l'eau.
Le recyclage des ordures ménagères ou industrielles est une évidence. Mais les populations ont toutes les difficultés du monde à mettre en pratique une idée aussi simple. La raison principale est l'absence ou la pauvreté des solutions mises en place. Le coût de ses solutions vient ajouter une difficulté supplémentaire. De sorte que le recyclage pèche à plusieurs titres : faible information, faible engagement politique local, mauvaise stratégie, coût de recyclage élevé pour un rendement faible, etc.
De nombreuses entreprises d'envergure internationale se sont investies dans ce marché mais sans faire les efforts nécessaires pour construire un marché compétitif, solide et efficace en terme de résultats. La difficulté provient à la fois de la complexité des situations locales et surtout d'une nécessité d'usage des matières recyclées pour obtenir un coût abordable.
Aujourd'hui, il est plus onéreux d'utiliser des matière recyclées qui sont pourtant un progrès écologique. Cette absurdité provient de l'incapacité du marché à se structurer et à développer des stratégies locales spécifiques. Notre société est trop habituée à jongler avec des masses importantes pour faire baisser les coûts sans regard pour les particularités et les détails. En uniformisant l'offre, on uniformise la demande. Mais ce mécanisme ne fonctionne en aucun cas dans le recyclage des déchets.
Il est donc nécessaire de repenser les mécanismes économiques des technologies et des marchés de recyclages afin de les rendre plus attractifs pour les industriels et d'en finir avec les politiques de communication dites de Green-washing (litt. laver en vert) qui permettent aux entreprises de se dire écologiques parce qu'une partie mineure de leur production est respectueuse de l'environnement. Il faut espérer que la nécessité politique mondiale de développer des technologies vertes permettra la conversion des industries polluantes et de nouvelles industries totalement vertes.

•Une quatrième façon est de recycler davantage l'eau elle-même aussi bien à des niveaux régionaux qu'au niveau du particulier.
L'idée d'utiliser et même de consommer des eaux usées est culturellement rebutante pour la plupart des gens. Pourtant, quand on y pense, l'eau du robinet n'est rien d'autre que de l'eau usée que nous retraitons pour qu'elle soit de nouveau propre à la consommation. Si les procédés sont discutables et peuvent être améliorés, il ne fait aucun doute que le recyclage de l'eau par des stations d'épuration est entré de manière définitive dans notre culture technique. Reste à améliorer notre contrôle de ce cycle d'épuration et surtout les entreprises qui ont concession pour la gestion de l'eau.
Mais ce n'est là qu'une étape. Dans notre quotidien, il existe des technologies récentes qui permettent à un foyer moyen de recycler quantité de son eau pour quantité de ses besoins. La récupération des eaux de pluie ou bien les matériaux de couverture végétaux ne sont que quelques exemples probants de notre capacité individuelle à recycler l'eau.
Comme nous l'avons dit précédemment, le problème est le manque totale d'information des acteurs de ces nouvelles technologies souvent occultées par les concurrents historiques qui voient d'un mauvais œil la venue d'une innovation concurrente. Ce manque d'information provient également d'un effort insuffisant de la part des acteurs institutionnels souvent préoccupés par des enjeux et des échéances électorales et parfois noyautés par des groupes de pression gagnés à la cause d'acteurs industriels qui ne souhaitent pas voir des nouveaux venus troubler l'ordre établit.

• Une cinquième façon est de développer de nouveaux agents capables de combattre la pollution ou bien de l'absorber.
Cette perspective est encore plus difficile à admettre pour le plus grand nombre que la précédente. Pourtant il existe déjà de nombreux agents capables de capturer certaines formes de pollution de l'eau. Les épinards sont connus pour leur capacité de capture des métaux lourds. D'autres plantes d'intérieurs sont des dépolluants naturels. Dans l'eau, certains algues et certaines espèces animales sont des chasseurs de pollutions diverses tant d'origine chimique que d'origine naturelle.
Dans le monde des bactéries on commence à compter de nombreuses alliées capables de prodiges inédits comme de dévorer certaines matières polluantes. Certaines sont capables non seulement de se nourrir de nos déchets mais elles ont également la capacité de résister aux pires conditions de vie : déshydratation totale, radioactivité, empoisonnement, etc. La recherche en la matière, si elle n'est plus utilisée pour la production d'agents pathogènes militaires, ouvre de nombreux horizons permettant d'imaginer la mise au point d'armées de bactéries capables de nous débarrasser de nombre de nos pollutions.

Comme nous le voyons, les stratégies économiques de l'eau sont plurielles et ne sont pas antagonistes entre elles. Elle se situent à des niveaux multiples allant d'une responsabilité transnationale à des activités de terrain très localisées. Il ne s'agit pas ici de faire le catalogue exhaustif des solutions mais plutôt d'attirer l'attention sur la simplicité de mise en œuvre et surtout l'existence de pistes à suivre. Ce qui manque, c'est d'abord une volonté collective et informée, mais celle-ci ne fait pas tout.

Faire la paix avec la déesse de l'eau
Nous l'avons vu tout au long de ce modeste article, ce qui compte c'est n'est pas tant de transformer des technologies ou des usages, mais plutôt le changement de l'état d'esprit dans lequel nous vivons avec les forces actives de la nature. Tout dépend du regard que nous avons sur la nature et comment nous la considérons. A la différence des courants de pensée philosophiques de l'Occident qui tendent à placer l'homme au centre et comme dominateur de la nature, l'Orient laisse une place prépondérante aux entités divines, aux dieux et aux déesses qui incarnent de manière cosmique les forces naturelles de l'univers et des mondes qui le constituent.
Considérer l'eau simplement comme une molécule ou seulement comme une ressource, c'est-à-dire adopter un point de vue strictement scientifique ou économique, ne suffit pas à donner la mesure de ce qu'est l'eau dans notre vie d'être humain. Car ces points de vue ne peuvent être considérés qu'à l'aune d'une conscience scientifique réelle et d'une culture particulièrement développée. Et même dans ce cas, il est bien des scientifiques et des économistes prêts à vendre leur âme au diable pour en retirer quelque profit personnel plutôt que de prendre le contre-pied d'intentions industrielles malveillantes et de desseins politiques rapaces.
Faut-il pour autant diviniser tout à la manière des animistes ou des cultes chamaniques ?
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de revenir à un monde magique, plein de superstitions et de croyances parfois effrayantes. En revanche, je crois qu'il est nécessaire de retrouver le sentiment du sacré lorsque nous sommes face à des forces naturelles majeures, à des éléments constitutifs de notre vie et de notre environnement, sans pour autant leur prêter une intelligence humaine.
L'eau est une déesse. Elle peut s'avérer bénéfique et nourrir notre vie, nous soigner, nous purifier, nous laver de nos souillures. Mais elle peut aussi prendre des formes malignes et nous rendre la vie impossible à son contact sous des formes souvent terrifiantes. Elle peut avoir l'air d'une matière fragile mais elle fait la démonstration de toutes les formes de la puissance que l'on prête aisément à une entité divine. Sous toutes ses formes, elle nous dépasse tout en faisant partie de chacun. Elle protège celui qui s'est éveillé à sa nature et à son pouvoir. Elle est dangereuse et même mortelle pour l'ignorant ou le cupide qui la considère comme une simple commodité.
Ainsi la déesse de l'eau fait partie de notre panthéon de divinités modernes. Elle demeure l'une des forces primordiales qui permet la vie sur cette planète. Sans elle, nous ne sommes rien, car elle constitue plus des deux tiers de notre être. Sans elle, rien ne vit.
N'est-ce pas cela la marque incontestable d'une déesse...?

17.7.09

| L'illusion est maintenant parfaite...|

Le ciel est béton, les nuages fumés. La pluie menace. Le tonnerre gronde encore après avoir rugit toute la nuit. L'atmosphère sait se déchaîner et personne ne peut prévoir ni quand, ni comment, ni où... En jetant un coup d'œil aux multiples bulletins météo du début de semaine, on envisageait un temps mitigé, de belles éclaircies, des matinées ensoleillées et des nuages l'après-midi ou inversement... En bref, les prévisions étaient fausses.
Pourtant, les gens continuent de consulter la météo à la télé, sur Internet, sur leurs iPhones, à la radio. Ils ne sauront rien du temps qu'il fera demain, puisque les spécialistes eux-mêmes n'en savent plus rien. Prévoir les conditions climatiques du lendemain est devenu un exercice proche de la prédiction astrologique.

D'ailleurs, l'astrologie et les techniques divinatoires n'ont jamais eu autant de succès. L'échec des églises et des cultes divers à réaliser le bonheur tant attendu et si souvent promis y est aussi pour quelque chose. Alors on en revient à de bonnes vieilles méthodes : les cartes, la position des corps célestes, les chiffres, la voyance... Les technologies de l'information donnent un coup de pouce considérable à ce retour en force. Elles garantissent l'ubiquité, l'instantanéité, l'anonymat... Des pouvoirs divins sans avoir à rendre quoi que ce soit au Tout-puissant.
Les prévisions deviennent prédictions. La marge d'erreur est tolérée. L'approximation est attendue. L'interprétation va de soi. Les résultats sont inégaux, mais pas plus que les prévisions météorologiques ou les marges bénéficiaires des sociétés cotées en bourse. 30% de bonheur en plus, 30% de rien du tout, 30% d'emmerdements et 10% de surprises, bonnes ou mauvaises. C'est selon le point de vue dans lequel on se place.

L'économie mondiale, qui a avalé toutes les économies locales, n'est pas exempte de cette nécessité divinatoire. Prévoir l'inflation, le chômage, la croissance, les profits et les pertes, autant d'objectifs qui semblent simples à l'énoncé, mais qui impliquent une telle somme de facteurs qu'il est impossible de les anticiper. Alors on fait appel à des analystes, à des prospectivistes, à des spécialistes de l'ingéniérie financiaire, à des oracles modernes qui, sous couvert de termes techniques et d'un vocabulaire ésotérique, font des paris sur l'avenir pour augmenter le plus possible la rentabilité des actifs qui leurs sont confiés.
Les prédictions deviennent des projections et des scénarios. La marge d'erreur est appelée risque. Les risques sont réduits par des garanties. Les garanties sont données par des experts et des compagnies d'assurances, qui n'ont aucun moyen de garantir quoi que ce soit sinon de payer la note en cas d'échec. L'édifice est creux, fabriqué d'accords tacites et de promesses couchées sur le papier que l'on appellent contrats.
En rapprochant le « temps qu'il fait » du « temps qui passe » et celui qui passe du « temps qui est de l'argent », je me rend compte de l'absence de substance de toutes ces attentes et de toutes ces stratégies. Mais si elles sont si vides, pourquoi ont-elles une prise si forte sur notre quotidien, sur nos vies individuelles et collectives, sur notre histoire ? Car en dépit de l'abstraction de ces concepts, de leur évidente inefficacité et de leur vacuité avérée, on continue à croire que la météo nous dira s'il fera beau demain, que la divination nous dira si nous allons être heureux et que l'économie fera notre fortune...

La croyance est la clé de cette absurdité. La croyance est le moteur. La croyance est la substance de cette illusion parfaite. Je dis parfaite parce qu'elle atteint maintenant sa limite. La perfection est limite, cristallisation, image figée dans le temps et dans l'espace. Et l'illusion est enfin parfaite. Un seul pas en arrière et le recul est suffisant pour se rendre à l'évidence que la météo, l'oracle et le banquier nous mentent en même temps qu'ils se mentent à eux-mêmes, rendant l'illusion acceptable aux yeux de tous.
Le dicton qui veut qu' « au royaume des aveugles, le borgne est roi », est complètement faux. Au royaume des aveugles, le borgne est dans la merde. A défaut d'être pointé du doigt, il sera pourchassé, condamné, transformé en bouc émissaire de l'aveuglement général, et éventuellement mis à mort. Les groupes produisent de la conformité. Et tout ce qui est concurrent est d'abord suspect, puis détesté et enfin combattu jusqu'à l'extermination pure et simple. C'est ce que l'on peut observer chez les colonies d'insectes, au sein des troupeaux de mammifères, chez les pingouins ou encore dans un vulgaire poulailler. Prenez une poule, peignez lui la crête en bleu et elle devient immédiatement l'ennemi, l'autre, le borgne.

Nous vivons à une époque de grande croyance, mais nous vénérons de faux dieux, des idoles perverses, des vices que nous déguisons en vertus. Ces croyances immorales et contre-productives nous ont conduit à saccager notre environnement naturel, à rejeter les moyens d'émancipation intérieure, à corrompre nos relations inter-personnelles et à développer une soif inextinguible pour toutes les formes de morts réelles ou abstraites. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les perspectives soient sombres, funestes et parfois même fatalistes. Mais ce ne sont là que les limites de l'illusion parfaite que nous avons tous contribué à créer et dans laquelle nous nous complaisons allègrement. Mon maître en bouddhisme, Nichiren, le moine japonais du 13e siècle, écrit dans une lettre : « l'insecte qui se nourrit de l'ortie en vient à oublier combien sa feuille est amère, de même que l'homme qui s'attarde dans les latrines en vient à oublier combien l'odeur est fétide. »
Nous avons oublié comment vivre pour nous laisser prendre aux fantasmes et aux rêveries. Il n'est pas trop tard pour les dissiper, et nous éveiller à la réalité du monde, à sa beauté, à l'aspect précieux et même sacré de la vie sous toutes ses formes, y compris humaine. Ce n'est au final qu'une question de croyance(s). Nous pouvons continuer de vénérer le veau d'or et attendre que de providentiels Moïse, Jésus, Mahomet ou Bouddha viennent nous sauver de nos délires toxiques. Nous pouvons même croire que le salut sera dans l'au-delà...
Ou alors nous pouvons prendre au mot ces prophètes et vivre au quotidien les principes simples, peu nombreux et profondément humanistes qu'ils ont laissé pour la postérité. Pour cela, il n'est nul besoin d'églises, de devins, de banquiers ou de présentateurs de la météo qui ne prêchent que pour leurs chapelles, leurs institutions et les illusions parfaites qui forgent le spectacle permanent mais sans vie qu'ils nous donnent à regarder à chaque instant de notre existence.

1.7.09

| Peut-on vivre sans Internet ? |

Partial map of the Internet based on the Janua...Image via Wikipedia

Internet est partout. Toile géante qui couvre toute la planète, s'abreuve à tous les médias, y compris les canaux privés comme le téléphone, le courrier électronique et les conversations en ligne, le Web est le réseau le plus vaste jamais connu dans l'Histoire humaine. Bien que limitée par le déploiement du réseau téléphonique (terrestre, hertzien ou satellite) et par le prix d'une connexion domicile, la Toile est devenue en quelques années seulement le moyen de communication le plus performant, le plus rapide et le moins cher de l'économie mondiale. Et malgré la diversité des cultures, des ethnies, des langues et des traditions, Internet est aujourd'hui le vecteur de rapprochement et, pour reprendre l'expression de Thomas Friedmann, d'aplatissement du monde connu.

Pourtant, pendant plusieurs millénaires, nous avons pu vivre, évoluer, développer nos sociétés sans recourir à un média aussi vaste et aussi complet. A grands renforts de pierres, de tablettes d'argile, de peaux d'animaux domestiques, de roseaux, de chiffons et finalement de papier, il nous a été possible de bâtir un monde globalisé, n'ayant pour limites que celles de la planète. Et dans les deux derniers siècles, grâce à l'usage de l'électricité et des ondes radios, nous avons même pu surmonter les obstacles posés par l'utilisation de nos sources d'énergies actuelles (Charbon, gaz naturel, pétrole). En déployant un réseau téléphonique et des émetteurs de radio-fréquences, il nous a été possible de relier tous les points du globe par des contacts téléphoniques uniques ou multiples.

Graphic representation of a minute fraction of...Image via Wikipedia

L'Internet est-il seulement une extension naturelle ou logique de tout ce déploiement de techno-science ? Non. L'Internet correspond à une nécessité humaine que l'on constate dès les premiers temps de l'humanité : celle de se relier et de partager un patrimoine intellectuel et historique commun. Il ne s'agit pas tant d'échanger des informations ou du savoir, qui était le but premier de l'Internet militaire et scientifique. Cette vision purement utilitaire et potentiellement marchande s'est avérée fausse et surtout contre-productive.
Ce dont il est question sur Internet, c'est de permettre à tous les utilisateurs de s'exprimer dans un espace public et d'y faire apparaître leur culture, leurs histoires (si modestes soient-elles), leurs versions et opinions des faits dont ils sont connaissance (y compris quand leurs informations ou perceptions sont totalement ou partiellement fausses ou bien biaisées). Ce dont il s'agit c'est de l'esprit du partage autour du feu. Ce dernier est remplacé par un écran lumineux. Les autres veilleurs sont là, comme au bon vieux temps, autour de l'écran, des ombres légèrement éclairées par la lumière froide. Ce qui diffère c'est évidemment le nombre de feu. Au lieu d'en avoir un seul, il y en a un par veilleur.

Comme le feu de l'ancien temps, l'Internet sert à tout. Il permet la communication entre les individus, la congrégation par delà les frontières, la communion de destin et de narration, l'échange d'informations utiles ou futiles, savantes ou purement factuelles, et enfin il permet le partage de l'expérience et sa communauté. Tout comme le feu, une fois allumé, il n'est pratiquement plus possible de l'éteindre sauf à régresser tant les usages sont multiples, les possibilités innombrables. Internet est le feu nouveau, et il est devenu impossible de s'en passer. Il est le facteur déterminant d'un changement de civilisation, tout comme l'utilisation du pétrole l'a été, le déploiement de l'électricité, l'usage du téléphone ou la circulation du livre.

Comme tout les outils majeurs, Internet n'est pas encore entièrement domestiqué. Les veilleurs n'ont pas encore compris sa valeur réelle, intrinsèque, permettant de grandir les individus et non de les réduire. Comme au jour de Noël, les utilisateurs d'Internet, partout dans le monde sont encore dans la période de découverte du nouveau jouet. Ils en admirent la merveille, les fantasmes, les couleurs, la diversité. Mais peu l'utilise, en tire productions et développements, le mette réellement à contribution. Cela ne signifie pas pour autant que l'Internet soit un gigantesque gadget comme a pu être la platine musicale ou le lecteur de DVD ou de VHS. Internet, à l'instar de la radio et dans une certaine manière la télévision, est un canal médiatique par lequel les contenus circulent, mais cette fois dans les deux sens. Et ce n'est finalement pas le canal qui est incontrôlable mais bel et bien les contenus. Les grandes dictatures actuelles ne s'y sont pas trompées, les puissants et les valets du pouvoir non plus. Alors une guerre mondiale se livre en ce moment même pour saturer l'Internet d'une propagande marchande et restrictive, une homogénéisation normative et radicale qui permettra non de brider les capacités de l'Internet, mais d'en réduire la portée dans les esprits.

L'Internet est devenu indispensable et à terme il sera entièrement gratuit. Ceux qui tentent par des manœuvres diverses et des stratégies sournoises de le limiter, de manipuler son contenu et de s'ériger en maîtres des réseaux ne sont rien d'autre que les seigneurs féodaux d'une nouvelle forme de Moyen-Âge au cours duquel il est possible que la censure exercée aille bien au-delà de ce qu'on reproche aujourd'hui aux cultes d'hier. Car autrefois, le feu de la veillée réchauffait les veilleurs et invitait à la communauté. Mais il servait aussi, le cas échéant, à éloigner les loups, les brigands et si nécessaire à incendier les forteresses de ceux qui souhaitaient régner sans partage. Aujourd'hui, comme hier, le feu de l'Internet est un outil de création, de communauté ou de destruction massive. Il dépend de ceux et de celles qui en font l'usage de déterminer ce qu'il en sera.







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