1.8.08

| La justice internationale, une arme contre les peuples |

ARTE consacre cette semaine une série d'émissions thématiques sur les conflits dans l'ex-Yougoslavie, essentiellement centré autour de la Serbie et du symbole du régime de l'époque, Slobodan Milosevic. L'une de ces émissions porte sur le procès attenté par le Tribunal pénal international [TPI] de La Haie à l'encontre de Milosevic pour crime(s) de guerre et crime(s) contre l'humanité. Au travers de ces nombreuses émissions, démontrant un choix éditorial de qualité à la hauteur de la chaîne de télévision qui les diffuse, on redécouvre une chronologie et les témoignages filmés de nombreux protagonistes de cet événement que l'on considère maintenant comme l'histoire des Balkans, de l'Europe et du monde en général.
Ayant de profond liens avec les serbes de France depuis plus de 25 ans et marié avec une française d'origine serbe, il m'est difficile de faire la part des choses étant personnellement impliqué dans cette histoire, même de façon lointaine. Pratiquant le bouddhisme Soka depuis plus de vingt ans, ces événements ont d'autant plus d'importance qu'ils posent de manière aiguë l'impact de la guerre, de la haine raciale, ethnique ou culturelle et surtout de la justice sur la vie des êtres humains.
Nul doute que les horreurs perpétrées par des forces armées en état de guerre, que les exactions des militaires et des francs-tireurs qui les accompagnent sont des actes intolérables et totalement inexcusables. Mais ce qui frappe l'esprit dans cette description méthodique selon des angles de vue toujours différents est la volonté de montrer une certaine image des réalités de l'époque et surtout des mobiles de tous les événements qui ont précipité les Balkans dans la guerre totale, civile et définitive. Au travers de cette articulation historique de notre Europe, ce sont les termes et les mécanismes des conflits contemporains qui émergent. Mais plus encore, avec la mise en œuvre, et dans une certaine mesure la mise en scène, du procès de Milosevic au TPI, ce sont les rouages invisibles des relations internationales qui affleurent pour qui sait les lire.
Je n'ai pas la prétention de percevoir correctement les infinies subtilités de la Guerre des Balkans. Je ne suis ni diplomate, ni magistrat, ni avocat spécialiste des affaires internationales, ni militaire de haut rang et encore moins représentant politique. Mais je ne considère jamais les informations, surtout télévisées, comme vérités ou même reflets d'une vérité quelconque. Pour comprendre une telle complexité, j'essaye, à titre personnel, de parler avec autant de gens concernés que possible afin d'avoir des informations de première main, même tempérées par les émotions, les a priori et la culture individuelle. Ensuite, j'essaye de comprendre les situations du seul point de vue des individus, des êtres humains et non du roman que chacun raconte.
Dans l'ensemble de la Guerre des Balkans, ce qui me frappe en premier lieu c'est le rôle, le poids et l'incroyable influence de ce qu'on appelle désormais la «communauté internationale». Qui est cette soi-disante «communauté internationale» ? La réponse évidente est de dire qu'elle est une autre appellation, plus populaire, de l'ONU. Mais ce n'est pas le cas. Dans tous les théâtres d'opérations de la «communauté internationale», Irak, Somalie, Yougoslavie, Iran, Palestine... ce n'est pas l'ensemble des pays de l'ONU qui a été représenté mais une portion réduite à une partie seulement, essentiellement concentrée dans le conseil de sécurité de l'ONU. Ce dernier est composé de 5 membres permanents (tous vainqueurs de la Seconde guerre mondiale) et de 10 membres non permanents renouvelés tous les 2 ans (selon un procédé relativement complexe qui les rend impuissants).
La «communauté internationale» est avant tout une notion nébuleuse et inconsistante qui permet aux services de communication de désigner les coalitions de pays riches et avancés contre d'autres pays impliqués dans des règlements ou des conflits frontaliers dont les origines sont en majorité attribuées aux politiques de colonisations de ces mêmes pays avancés et riches désormais coalisés. Plus symboliquement, la «communauté internationale» désigne le camp du bien face aux forces du mal, quelles qu'elles soient, où qu'elles soient. Ces deux déclarations sont sommaires mais enfoncent de telles portes ouvertes que je ne perdrais pas de temps à élaborer sur une argumentation.
Toujours dans cette Guerre des Balkans, le deuxième acteur spectaculaire est le TPI, le Tribunal pénal international. Ce dernier ne doit pas être confondu avec la Cour pénale internationale. Les TPI sont des tribunaux temporaires et exceptionnels décidés et imposés par le Conseil de sécurité de l'ONU, c'est-à-dire par la France, les Etats-unis, l'ex-URSS, la Chine et le Royaume-uni plus que les dix non permanents qui n'ont concrètement aucun poids. Ces tribunaux disposent de moyens considérables, entièrement financés par l'argent public de tous les adhérents payants de l'ONU et surtout de l'appui du Conseil de sécurité. Ils ont, nous l'avons vu, la capacité à déférer un chef d'état, élu légalement par sa population et à le considérer comme un simple accusé de droit commun au-delà de la juridiction légale et souveraine de son propre pays. Cette suprématie pose d'énormes problèmes de droit international relevé à plusieurs reprises par nombre de pays membres de l'ONU et critiqués en conséquence.
Depuis les TPI pour la Yougoslavie (1993), celui pour le Rwanda (1994), les Nations unies, cette fois en assemblée, ont adopté, par le traité de Rome une Cour pénale internationale disposant d'une compétence plus large que les TPI. Mais les trois principaux membres permanents du Conseil de sécurité (Les Etats unis, la Chine et la Russie) ont refusé de le ratifier (ainsi que 85 autres pays). La CPI est une perte de contrôle évidente des trois plus grandes puissances du monde sur l'outil juridique international. A la lumière de cette fin de non recevoir, ces institutions apparaissent comme ce qu'elles sont : des instruments de rétorsion contre les états, et au travers des états, les sociétés et les peuples.
En dépit de la déclaration d'intention des TPI, de juger des personnes et non des gouvernements ni des populations, la nature de l'intervention des TPI les extraient du champs de la puissance publique. La puissance publique dispose dans chaque pays et selon la nature des régimes gouvernementaux d'une force de police et d'un appareil judiciaire chargés de maintenir l'ordre et de faire respecter les lois édictées par les représentations populaires (chambres, assemblées, congrès, etc.). Les TPI se placent en surplomb de la capacité des peuples, de leurs représentations politiques et de leurs appareils judiciaires propres. A l'image des membres permanents du Conseil de sécurité, ils sont supérieurs aux intérêts des peuples et des pays.
En faisant le procès d'un homme, en l'occurrence Slobodan Milosevic, le TPI dit ne juger ni le gouvernement, ni les populations. Mais l'homme d'état est le produit d'un régime, des institutions qui le constituent, des élus et des électeurs. Cette réalité a servit largement l'accusation afin de démontrer les chaînes de commandement et de charger l'accusé. Et même dans une dictature féroce (ce qui n'était pas le cas de la Yougoslavie), la population contribue également à la perpétuation du régime. Les exemples historiques tels que Gandhi, Mandela et d'autres démontrent la capacité des peuples à reprendre en main leurs destins nationaux et à cesser un collaboration passive. Il est donc hypocrite de déclarer que le TPI ne juge pas les populations et les régimes. Il est également hypocrite de déclarer que le TPI est une institution produite par la puissance publique internationale ou bien par une quelconque «communauté internationale» ou planétaire.
Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, il aura fallu seulement dix ans pour voir apparaître de nouvelles institutions supranationales capables de permettre aux grandes puissances d'intervenir partout et en toutes circonstances en disposant d'arguments juridiques à l'appui de leurs politiques. Je ne dis pas qu'il ne fallait pas intervenir dans les conflits des dix dernières années (Rwanda, Serbie, Somalie, Koweit, Ethiopie, etc.). Je dis que les institutions juridiques internationales crées pour justifier les interventions armées sont également des armes et des moyens de rétorsion contre les états. Plutôt que de permettre l'émancipation, elles sont des outils de coercition, d'aliénation et surtout les ferments d'autres conflits sans fins, sans limites, sans frontières, ce qu'on appelle aujourd'hui le terrorisme.
Au final, les véritables victimes de cette globalisation juridique, ce sont les peuples, les familles, les individus que ces mêmes institutions sont censés protéger et servir. Mais les serbes ont-ils été libérés du «joug» de Milosevic grâce au TPI ? Les Croates et les Bosniaques ont-ils bénéficié des conséquences de ces interminables simulacres de justice ? La situation locale est-elle meilleure ? Vivable ? Les jeunes générations ont-elles hérité d'un nouvel espoir, d'une nouvelle vie ? La réponse est toujours la même et le spectacle renouvelé de ces événements, qui ont eu lieu il y a plus de dix ans, continuent de hanter les populations locales et de démontrer l'impuissance des riches et des puissants à fabriquer une image de justice mondiale, suprême, bienveillante...
Je remercie ARTE de nous rappeler combien nous autres occidentaux sommes incapables de déployer un modèle nouveau, innovant, de civilisation où les idéaux de justice, de fraternité et de tolérance seraient réalités. Mais peut-être est-ce là un rêve utopique, une illusion qu'il nous faut perdre pour devenir nous aussi des bourreaux indirects de ceux qui ne veulent pas courber l'échine devant le capitalisme triomphant qui domine le monde.

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