1.8.08

| La Poste, au service du recouvrement |

La Poste est une institution extraordinaire. Créée par Louis XI pour acheminer les communications royales en temps de guerre (autant dire tout le temps), les relais postes vont bientôt rivaliser et détrôner les messagers d'universités (entièrement contrôlés par l'Eglise). Elle devient une institution républicaine avec la Révolution et l'Empire et accessible au public grâce à l'invention du timbre poste, contre-marque à valeur fixe contractuelle. Deux cents ans plus tard, La Poste est non seulement un service public de transmission du courrier privé et public, un service d'acheminement de marchandises et de biens mais aussi un organisme bancaire.
En ouvrant ses services aux particuliers, La Poste a permis la naissance de l'espace de communication publique. Et au travers de cet espace public, elle a libéré la communication du carcan dans lequel l'avait emprisonnée l'Eglise et le Souverain. Pendant une période relativement longue du point de vue de l'Histoire récente, mais très courte du point de vue de l'histoire humaine, La Poste a permis l'émergence de la liberté de circulation de l'expression au même titre que la presse et l'imprimerie. Mais ce temps épistolaire est désormais révolu et cette institution sans égale est revenue sur ses pas pour retrouver sa position initiale.
Aujourd'hui, qu'y-a-t-il dans notre boîte aux lettres ?
Des lettres d'amour ? Des correspondances dignes d'être publiées à La Pléiade dans quelques décennies ou siècles ? Des manuscrits uniques et réfléchis sur la condition des hommes et de leurs sociétés ? En vérité, rares sont les occasions de se réjouir du courrier. Seules les cartes postales épisodiques de quelque amoureux de l'écriture émaillent un flux quotidien d'informations publicitaires et de courriers administratifs.
La Poste est redevenue l'outil du pouvoir mais pas celui de l'Eglise et du Souverain. Elle est le service de notification de recouvrement de l'Etat et de la Banque. Et lorsqu'elle ne sert pas le pouvoir, elle se rémunère grassement sur la distribution de prospectus, de périodiques et de papiers publicitaires. Epluchez donc votre courrier et voyez vous mêmes : facture, facture, publicité, facture, publicité, facture, ad nauseam... On pourrait jeter le blâme sur le téléphone (encore géré par l'institution postale il y a seulement quarante ans) et sur Internet pour expliquer et justifier la relégation de La Poste à l'inconfortable rôle d'oiseau de mauvaise augure. Mais ce serait oublier le rôle original de l'institution.
Ce rôle s'est transformé pour épouser les mutations capitalistes contemporaines. Dans la gouvernance mondiale des marchands, le service postal est naturellement devenu le vecteur de choix pour toutes les formes de recouvrement de créances et surtout celles des principaux acteurs de la gouvernance marchande : les organismes collecteurs et les organismes financiers qu'ils soient publics ou bien privés.
Pendant un temps, nous avons entretenu le mythe d'une poste organique, véritable lien invisible et privilégié entre les individus. Nous avons même été jusqu'à croire que le courrier pouvait constituer une sorte de contre-pouvoir face à la propagande et au totalitarisme. Le facteur était une sorte de héros discret et fidèle, lié par un serment informel de bonne in de service. Mais cette mythologie cède le pas au réalisme cynique d'une époque vide de sens et de finalité dominée par la dictature des plus riches.
Finie la poste de mamie qui vous envoie un petit pécule pour votre anniversaire. Finie aussi le postier sympathique qui vous amène des nouvelles de parents en province. La Poste, comme beaucoup d'autres institutions, a rejoint le camp du profit et de la performance. Et ouvrir la boîte aux lettres ou la porte au postier peut s'avérer nuisible au reste de votre journée. Du service des usagers, La Poste est maintenant au service du recouvrement. Par les temps qui courent, il n'est pas impossible que le postier, tout comme le pompier il n'y a pas si longtemps, devienne une cible privilégiée dans des contextes urbains explosifs et manifestement en décalage avec l'opulence des messages publicitaires et les demandes parfois injustifiées de créanciers avides et dépourvus de morale.
Que faire contre cette apparente fatalité ?
Seuls, notre marge de manœuvre est extrêmement limitée et l'impact de notre action est invisible. Mais collectivement, des opportunités se présentent. Pour combattre l'invasion publicitaire de votre boite aux lettres, le simple macaron ne suffit pas. Et il est important de savoir que le coût de collecte et d'élimination de cette inondation publicitaire s'élève jusqu'à 150 € par tonne de papier et de plastique. Sans compter que le coût d'envoi et de fabrication de ces publicités sont répercutés sur les prix des produits proposés.
Pour la publicité qui ne comporte pas votre adresse, prenez le temps de la mettre dans une enveloppe sans la timbrer et expédiez là soit à l'annonceur, soit directement à la présidence de la république (c'est-à-dire à la chancellerie). Vous pouvez évidemment y joindre une lettre de protestation. Le coût de l'envoi est à la charge de celui qui reçoit le pli. Une autre stratégie est de mettre les prospectus non adressés dans les boîtes aux lettres jaunes de La Poste, puisqu'elle distribue plus de 50% de ces mêmes prospectus. Enfin, vous pouvez demander au facteur, au receveur des postes ou encore à la direction de la Poste locale de ne plus recevoir de prospectus non adressés. Parfois, vous tombez sur un être humain et il ou elle fait le nécessaire qui est votre droit le plus strict.
Pour le courrier comportant votre adresse, c'est encore plus simple. Rayez votre adresse, inscrivez la mention "Refusé, courrier non sollicité", ne timbrez pas et hop dans la boîte aux lettres de la Poste.
Pour les courriers de recouvrement, il faut encore s'adapter à de nouvelles conditions. Toutefois, l'intérêt principal de vivre en République est que l'information administrative est publique. Il est donc possible à tout un chacun de se saisir des textes de loi, des décrets d'application et sans aucune formation juridique de plaider sa cause. Bien qu'en France, les Class actions ne soient pas permises, il existe une foule d'associations de défense des consommateurs et des contribuables très expérimentées sur le terrain de la contestation républicaine. En recevant des courriers hostiles, émanant d'organismes de recouvrement, d'huissiers ou autres créanciers, il est simple et souvent peu onéreux (une adhésion simple à l'association en question) de se faire conseiller dans des cas de litiges, y compris avec les institutions de la République.
Une fois de plus, il faut savoir que les litiges constituent une part considérables des bénéfices et des chiffres d'affaires de milliers de sociétés privées ou juridiques et que les délais de mise en recouvrement se sont réduit de manière radicale en seulement 20 ans. Il est donc important et responsable de toujours considérer l'éventualité d'un conseil, d'une démarche de défense ou de contestation dans tous les litiges qui se présentent... Tout le monde y a recours (car personne n'aime le sale travail) et nul n'est à l'abri.
En conclusion, bien que La Poste abandonne son rôle de ciment social pour devenir un rouage dans la machine de recouvrement de créances, il nous est encore possible de transformer le poison en élixir et de mettre les moyens de La Poste à notre service tout en faisant porter le coût à des tiers apparemment anonymes et hors d'atteinte. Il ne s'agit pas de se montrer plus malin mais seulement de faire siens les principes institutionnels et républicains qui ont été déployés par nos aînés et ceux qui, en leurs temps, ont fait passer en priorité notre futur devant leurs intérêts immédiats.

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