17.7.09

| L'illusion est maintenant parfaite...|

Le ciel est béton, les nuages fumés. La pluie menace. Le tonnerre gronde encore après avoir rugit toute la nuit. L'atmosphère sait se déchaîner et personne ne peut prévoir ni quand, ni comment, ni où... En jetant un coup d'œil aux multiples bulletins météo du début de semaine, on envisageait un temps mitigé, de belles éclaircies, des matinées ensoleillées et des nuages l'après-midi ou inversement... En bref, les prévisions étaient fausses.
Pourtant, les gens continuent de consulter la météo à la télé, sur Internet, sur leurs iPhones, à la radio. Ils ne sauront rien du temps qu'il fera demain, puisque les spécialistes eux-mêmes n'en savent plus rien. Prévoir les conditions climatiques du lendemain est devenu un exercice proche de la prédiction astrologique.

D'ailleurs, l'astrologie et les techniques divinatoires n'ont jamais eu autant de succès. L'échec des églises et des cultes divers à réaliser le bonheur tant attendu et si souvent promis y est aussi pour quelque chose. Alors on en revient à de bonnes vieilles méthodes : les cartes, la position des corps célestes, les chiffres, la voyance... Les technologies de l'information donnent un coup de pouce considérable à ce retour en force. Elles garantissent l'ubiquité, l'instantanéité, l'anonymat... Des pouvoirs divins sans avoir à rendre quoi que ce soit au Tout-puissant.
Les prévisions deviennent prédictions. La marge d'erreur est tolérée. L'approximation est attendue. L'interprétation va de soi. Les résultats sont inégaux, mais pas plus que les prévisions météorologiques ou les marges bénéficiaires des sociétés cotées en bourse. 30% de bonheur en plus, 30% de rien du tout, 30% d'emmerdements et 10% de surprises, bonnes ou mauvaises. C'est selon le point de vue dans lequel on se place.

L'économie mondiale, qui a avalé toutes les économies locales, n'est pas exempte de cette nécessité divinatoire. Prévoir l'inflation, le chômage, la croissance, les profits et les pertes, autant d'objectifs qui semblent simples à l'énoncé, mais qui impliquent une telle somme de facteurs qu'il est impossible de les anticiper. Alors on fait appel à des analystes, à des prospectivistes, à des spécialistes de l'ingéniérie financiaire, à des oracles modernes qui, sous couvert de termes techniques et d'un vocabulaire ésotérique, font des paris sur l'avenir pour augmenter le plus possible la rentabilité des actifs qui leurs sont confiés.
Les prédictions deviennent des projections et des scénarios. La marge d'erreur est appelée risque. Les risques sont réduits par des garanties. Les garanties sont données par des experts et des compagnies d'assurances, qui n'ont aucun moyen de garantir quoi que ce soit sinon de payer la note en cas d'échec. L'édifice est creux, fabriqué d'accords tacites et de promesses couchées sur le papier que l'on appellent contrats.
En rapprochant le « temps qu'il fait » du « temps qui passe » et celui qui passe du « temps qui est de l'argent », je me rend compte de l'absence de substance de toutes ces attentes et de toutes ces stratégies. Mais si elles sont si vides, pourquoi ont-elles une prise si forte sur notre quotidien, sur nos vies individuelles et collectives, sur notre histoire ? Car en dépit de l'abstraction de ces concepts, de leur évidente inefficacité et de leur vacuité avérée, on continue à croire que la météo nous dira s'il fera beau demain, que la divination nous dira si nous allons être heureux et que l'économie fera notre fortune...

La croyance est la clé de cette absurdité. La croyance est le moteur. La croyance est la substance de cette illusion parfaite. Je dis parfaite parce qu'elle atteint maintenant sa limite. La perfection est limite, cristallisation, image figée dans le temps et dans l'espace. Et l'illusion est enfin parfaite. Un seul pas en arrière et le recul est suffisant pour se rendre à l'évidence que la météo, l'oracle et le banquier nous mentent en même temps qu'ils se mentent à eux-mêmes, rendant l'illusion acceptable aux yeux de tous.
Le dicton qui veut qu' « au royaume des aveugles, le borgne est roi », est complètement faux. Au royaume des aveugles, le borgne est dans la merde. A défaut d'être pointé du doigt, il sera pourchassé, condamné, transformé en bouc émissaire de l'aveuglement général, et éventuellement mis à mort. Les groupes produisent de la conformité. Et tout ce qui est concurrent est d'abord suspect, puis détesté et enfin combattu jusqu'à l'extermination pure et simple. C'est ce que l'on peut observer chez les colonies d'insectes, au sein des troupeaux de mammifères, chez les pingouins ou encore dans un vulgaire poulailler. Prenez une poule, peignez lui la crête en bleu et elle devient immédiatement l'ennemi, l'autre, le borgne.

Nous vivons à une époque de grande croyance, mais nous vénérons de faux dieux, des idoles perverses, des vices que nous déguisons en vertus. Ces croyances immorales et contre-productives nous ont conduit à saccager notre environnement naturel, à rejeter les moyens d'émancipation intérieure, à corrompre nos relations inter-personnelles et à développer une soif inextinguible pour toutes les formes de morts réelles ou abstraites. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les perspectives soient sombres, funestes et parfois même fatalistes. Mais ce ne sont là que les limites de l'illusion parfaite que nous avons tous contribué à créer et dans laquelle nous nous complaisons allègrement. Mon maître en bouddhisme, Nichiren, le moine japonais du 13e siècle, écrit dans une lettre : « l'insecte qui se nourrit de l'ortie en vient à oublier combien sa feuille est amère, de même que l'homme qui s'attarde dans les latrines en vient à oublier combien l'odeur est fétide. »
Nous avons oublié comment vivre pour nous laisser prendre aux fantasmes et aux rêveries. Il n'est pas trop tard pour les dissiper, et nous éveiller à la réalité du monde, à sa beauté, à l'aspect précieux et même sacré de la vie sous toutes ses formes, y compris humaine. Ce n'est au final qu'une question de croyance(s). Nous pouvons continuer de vénérer le veau d'or et attendre que de providentiels Moïse, Jésus, Mahomet ou Bouddha viennent nous sauver de nos délires toxiques. Nous pouvons même croire que le salut sera dans l'au-delà...
Ou alors nous pouvons prendre au mot ces prophètes et vivre au quotidien les principes simples, peu nombreux et profondément humanistes qu'ils ont laissé pour la postérité. Pour cela, il n'est nul besoin d'églises, de devins, de banquiers ou de présentateurs de la météo qui ne prêchent que pour leurs chapelles, leurs institutions et les illusions parfaites qui forgent le spectacle permanent mais sans vie qu'ils nous donnent à regarder à chaque instant de notre existence.

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