Que l'on soit cérébral ou intuitif, raisonnable ou excentrique, déterministe ou inspiré, que l'on y croit ou que l'on n'y croit pas, le pouvoir de la Loi de Nam-Myoho-Renge-Kyo dépasse les mots et la pensée. La récitation du Daimoku du Sûtra du Lotus ne laisse personne indifférent et ne manque jamais de susciter des effets en nous, chez les autres et dans l'environnement, souvent de manière inattendue.
Arthur C. Clarke, l'auteur de 2001 Odyssée de l'espace avait déclaré un jour que : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » En effet, cette magie fait partie de notre monde technologique dominé par les sciences dites exactes. Elle est partout, derrière chaque événement quotidien que nous sommes incapables d'expliquer. Comment la lumière naît-elle d'une ampoule ? Comment la fée électricité fait parvenir du courant dans toute la maison ? Comment l'eau courre-t-elle ? Comment l'essence explose-t-elle dans le moteur sans faire brûler la voiture ? Comment l'ordinateur fonctionne-t-il ? Ce n'est pas de la magie me direz-vous, car chacun de ces exemples a une explication rationnelle, scientifique, qu'il est possible de connaître si on s'en donne la peine ou bien que l'on reçoit une formation adéquate. Pourtant, malgré cette mythologie qui voudrait que les sciences seraient en mesure de tout expliquer, 90% des phénomènes de l'univers n'ont pas d'explications définitives. Nous devons nous contenter de théories, de modèles et d'hypothèses. Et il en va de même pour tous les phénomènes terrestres.
Sur notre bonne vieille planète, les autorités de tous pays ont beau multiplier les rapports, alerter la population et produire une quantité incroyable d'informations sur les changements climatiques, il reste que personne ne sait aujourd'hui prévoir, dire ou expliquer comment ces changements climatiques affectent exactement la planète, sa faune, sa flore ou l'humanité qui la peuple. En fait, nous ne savons que très peu de choses et seulement des choses qui nous touchent directement comme, par exemple, que la fonte des glaces du Groenland risque de faire monter le niveau des mers et que c'est une menace pour les villes côtières du monde entier et par extension pour les zones portuaires et pour l'ensemble du dispositif économique maritime. Comme le disait de façon sarcastique le philosophe Bertrand Russel : « Ce que les hommes veulent en fait, ce n'est pas la connaissance, c'est la certitude. »
C'est bien ça le problème : la somme de nos connaissances, aussi colossale soit-elle, ne couvre que le savoir qui nous est utile et cela ne représente que très peu de choses. C'est ainsi que l'on a pollué l'atmosphère au dioxyde de carbone issu du charbon pendant deux siècles sans jamais se poser de questions sur les interactions avec l'environnement, ou à plus proprement parlé, l'écosystème qui nous maintient en vie. Encore aujourd'hui, nous jetons 438 kg de déchets de toutes sortes par personne et par an sans nous demander réellement comment ces 26 millions de tonnes d'ordures seront stockées, traités, recyclées et surtout quel genre d'impact cela aura sur notre qualité de vie. Mais la magie quotidienne est à l'œuvre. Il nous suffit de déposer le sac d'ordures dans la poubelle de l'immeuble et le lendemain il s'est volatilisé.
« Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien », disait le maître de Platon. La plupart des chercheurs s'accordent sur ce principe socratique que notre connaissance met en valeur toujours davantage notre ignorance du monde. Pourtant, la plupart des gens continuent de se représenter le monde comme fini, comme connu, comme domestiqué. Ces certitudes forment une sorte de croyance illusoire que l'univers est une formidable machinerie certes complexe mais parfaitement et complètement explicable. Rien n'est plus faux.
C'est à ces certitudes sur le monde que se heurtent les expériences de pratique. En effet comment expliquer que la récitation d'un mantra du 13e siècle puisse avoir des effets aussi divers que trouver du travail, éviter un accident, survivre à une épreuve dramatique, rencontrer l'âme sœur, ou tout simplement régler quelque problème bassement matériel du quotidien ? Cette relation causale que nous percevons tous à un moment ou à un autre de notre propre itinéraire de pratiquant semble dévoiler un autre monde que celui expliqué par la science. Dans cet autre monde, il serait possible de contourner les limites ou les chemins tracés par les sciences et d'obtenir les effets voulus. A l'image de la lampe d'Alladin, le Gohonzon (objet de culte de la Soka Gakkai) et la récitation du Daimoku procureraient le moyen de réaliser des vœux, à condition bien sûr d'être clair dans l'énoncé afin de ne pas être trompé sur le résultat par le génie...
Dès lors s'opposent deux conceptions apparemment antagonistes, celle du pratiquant, ou plutôt du croyant, et celle de l'incroyant. Ce dernier est impuissant face aux événements qu'il doit subir avec bon cœur à défaut de bonne fortune. Le croyant, lui, détiendrait un pouvoir réellement magique, celui de réaliser ses vœux. Il n'aurait donc pas à souffrir les aléas de l'existence. Il pourrait dans une certaine mesure en devenir l'artisan et commander à ces mêmes événements. Malheureusement, ça ne marche pas à tous les coups. Si le génie s'active, souvent il pervertit les vœux ou tout simplement les annulent. On a beau prier, égrener les Daimokus, rien n'y fait, rien ne se passe. La magie devient alors inopérante et nous revoilà plongés dans le monde déterministe où il est impossible de dépasser les limites.
Nombre de croyants usent de stratégies multiples pour se donner le change lorsque la pratique (la récitation du Daimoku) ne se conclue pas par l'objectif qu'ils ou elles s'étaient donnés. Le premier de ses stratagèmes est la qualité insuffisante de la prière, que ce soit en quantité, en qualité ou en sincérité. « Je n'ai pas assez pratiqué » entend-on. Le deuxième, plus subtil, met en doute la validité ou la valeur du vœu, ou de l'objectif fixé. « Ce n'est pas ce que je voulais vraiment » devient la phrase rituelle. Un troisième stratagème relève de la fiction en émettant l'hypothèse que le vœu amenait avec lui un ou plusieurs effets négatifs invisibles. Cela donne quelque chose comme : « j'ai été protégé de mon propre désir » ou « en fait, si je n'obtiens rien, c'est une protection du Gohonzon... ». Bien souvent ces artifices remettent à plus tard la mise en évidence de la preuve manifeste de l'échec et que ce dernier était en fait une sorte de d'épreuve, de protection, ou de manque.
Que l'on soit croyant ou pas, la réalité est que la science ne nous dit que peu de choses exactes sur le monde dans lequel nous vivons. Et ce que la science nous dit est partiel, orienté et ne concerne que ce qui nous est utile dans l'immédiat. La science échoue à prédire l'histoire même si elle est capable de concevoir des scénarios. De l'autre côté, la spiritualité n'est pas une lampe d'Alladin qui permet d'obtenir tout ce que la logique nous dénie. L'efficacité de la science comme de la spiritualité reposent sur la perception que nous avons des choses qui nous entourent. La qualité de perception est l'un des traits majeurs de notre capacité à vivre pleinement et librement dans ce monde. Le deuxième trait majeur est la force vitale et la sagesse, qui sont constamment confondus avec la bonne fortune.
Essentiellement, la récitation du Daimoku apporte deux bienfaits : la purification des six racines et la manifestation de la force vitale. La première, comme je l'ai ébauché, permet de raffiner la perception que nous avons du monde et ainsi de prendre des décisions les plus adaptées aux circonstances que nous rencontrons dans notre existence quotidienne. Cette purification permet également de construire une représentation du monde, de l'univers, qui tient compte de la réalité fondamentale et non simplement des conceptions que nous projetons sur lui. Ainsi la purification des six racines (les cinq sens et la conscience) permet de percevoir un seul et même monde dans lequel coexistent toutes les représentations de tous les individus.
En réalisant cette purification des six racines, la conséquence manifeste est l'augmentation de la capacité de capter et d'employer la force vitale. Chacun d'entre nous, sans même pratiquer, est capable de capter et d'employer de la force vitale. Mais en tant que simple mortel, nous ne disposons que d'une quantité assez limitée de force vitale. Cette quantité dépend essentiellement de son ouverture d'esprit, de son assurance, de sa connaissance de soi-même et de ses ressorts intérieurs, de ses expériences et de sa capacité de réflexion. C'est John Locke, philosophe anglais du 17e siècle qui nous donne, dans son Essai philosophique sur l'entendement humain, la mesure de ces limites : « La connaissance de l'homme ne saurait s'étendre au-delà de sa propre expérience ». Ainsi ce sont nos limites individuelles qui déterminent la quantité de force vitale que nous pouvons capter et employer. Et nous savons combien il est difficile à la plupart d'entre nous de dépasser nos limites individuelles.
C'est en purifiant les six racines qu'il nous est possible de manière détachée et sans contrôle de capter et d'employer une quantité considérable de force vitale afin de réaliser des objectifs, des souhaits, que nous avons à l'esprit. La foi soulève des montagnes, dit un autre adage. Il est clair qu'une personne résolue, animée d'une passion ou d'un but précis, qui met en action la pratique du Daimoku verra la quantité de force vitale dont elle a besoin augmenter en proportion. Cette expérience fonctionne d'autant mieux si l'on n'exerce aucune sorte de contrôle ou de manipulation. « L'harmonie n'exerce pas de contrôle » nous rappelle Daisaku Ikeda en citant le philosophe Bergson. En effet, la purification des sens et de la conscience a pour conséquence directe d'harmoniser nos sens, et par extension notre vie entière, avec la réalité complexe formée par toutes les vies. Cette harmonie échappe à la tentative de contrôle que peut exercer la pensée et il n'y a pas de mots qui puissent la cerner et la restituer dans son infinie complexité.
A posteriori, quand le bienfait (jap. kudoku) se manifeste, notre analyse de simple mortel nous donne cette forte impression de magie. On décide, on pratique et le bienfait se matérialise. Cela ressemble drôlement à la lampe du génie. Mais il n'en est rien. Nichiren Daishonin dit dans le Recueil des enseignements oraux (Ongi Kuden) : « le bienfait (kudoku) équivaut à la purification des six organes des sens. Moi et mes disciples, en récitant Nam Myoho Renge Kyo, nous obtenons la purification des six racines » (G.Z. p. 762). La purification des six racines est le véritable et seul bienfait. Le reste, les résultats matériels et immatériels de la pratique du Daimoku ne sont que la preuve de la purification des six racines. Nul besoin de lampe, nous sommes nous-mêmes le génie.
Nichiren Daishonin explique, toujours dans le Recueil des enseignements oraux, le sens fondamental de ce qu'est un bienfait (jap. kudoku) et de ce que représente la purification des six racines : « Ku signifie l'apparition du bonheur et la disparition du malheur. Toku (doku) signifie acquérir un mérite. Kudoku désigne l'atteinte de la boddhéité sans changer d'apparence, ou la purification des six organes des sens » (G.Z. p. 762). Par la récitation du Daimoku, le simple mortel ouvre sa propre vie à la vie et à la force vitale du bouddha qu'il est. Loin d'être un rituel ou une incantation magique, cette pratique concrète est en soi l'éveil et produit toutes sortes de résultats matériels et immatériels. Elle permet de faire personnellement l'expérience de l'état de bouddha, un état de bonheur absolu dans lequel aucun vœu ne reste sans réponse.
Daisaku Ikeda définit ce concept d'absolu dans sa conversation autour du Sûtra du Lotus : « On l'appelle "absolu" parce qu'une personne dans cet état de vie est capable de comprendre le sens de tout ce qui se produit, dans la vie comme dans la société ; on peut l'appeler également sagesse. Quoiqu'il advienne, l'esprit de cette personne demeure calme et inébranlable ; c'est sa force intérieure ; "absolu" aussi parce que l'on peut faire jaillir librement cette sagesse et cette force intérieure des profondeurs de sa vie lorsque cela devient nécessaire » (La Sagesse du sûtra du Lotus, vol. 4, p. 25, ACEP).
Ainsi la perspective magique est celle du simple mortel qui se laisse guider par ses sens limités et sa connaissance partielle du monde. La perspective bouddhique dépasse cette compréhension limitée pour permettre à l'individu de voir le monde tel qu'il est et non à travers du prisme de ce qu'il l'imagine ou de ce qu'il le projette. Cette qualité de perception engendre une capacité pour ainsi dire illimitée de sagesse et de force vitale. C'est grâce à cette nouvelle manière de percevoir le monde et nous-mêmes que nous sommes en mesure de procéder à une authentique révolution intérieure qui a des répercussions sur tout ce qui nous entoure de près ou de loin. L'éveil consiste alors à ne pas se laisser prendre par l'illusion de la magie. Dès lors, par notre pratique, nous devenons les acteurs enchantés devant les merveilles de notre univers.
La fin du monde
Il y a 11 ans
5 commentaires:
Merci, Pierre Alexandre pour cet éclairage.
Je pratique le bouddhisme depuis plus de 20 ans. Et je viens de lire dans ton article des choses que j'ai comprises il y a très peu de temps. Ton article a eu l'effet d'un écho bienfaiteur. Ayant à résoudre une difficulté quelque peu coriace, j'ai finalement réalisé avec ma vie (car je le savais intellectuellement) que c'est en dépassant mes limites - les limites du petit égo qui empêchent de percevoir la réalité telle qu'elle est - que je pourrai transformer la situation que je vis actuellement.
Tes articles sur le 3e civ sont également pertinents.
Régine (qui a quitté Aubervilliers pour la Guadeloupe)
Merci! Ton esprit critique et ton esprit de recherche sont une bouffée d'oxygène pour la pratiquante que j'étais et que j'aspire à redevenir!
Merci d'éclairé nos sens, je suis débutant qui peut m'aider?
Merci de me donner des informations assez utiles à la compréhension de ma religion.
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